Centrafrique : La décision de l’Union européenne est-elle influencée comme celle du Conseil de sécurité de l’ONU ?

0

Bangui, le 23 déc. 21

Au sortir du système colonial, la paix et la stabilité constituaient deux des principaux enjeux auxquels les pays africains devaient faire face en raison de leur histoire politique et institutionnelle. Comme le montre C. Young, bien qu’elle n’ait duré qu’une période relativement courte de moins d’un siècle dans l’histoire africaine, la colonisation a complètement remodelé ce continent. Elle a créé de nouveaux États, redéfini les enjeux de pouvoir, réorienté les formes économiques, cristallisé de nouveaux intérêts… Le risque, dans ces conditions, était de voir le continent sombrer dans d’interminables guerres de frontière après la fin de la régulation coloniale.

Malheureusement en Centrafrique, c’est le contraire des choses avec la France qui se croit au-dessus des autres pays de l’Union Européenne. Les pays occidentaux brandissent toujours la question de la démocratie, de liberté et la non-ingérence dans les affaires des autres. Mais au contraire, la France use de sa puissance politique pour influencer les initiatives de l’UE au profit de la RCA. La RCA a connu un nombre plus important de conflits. Leur nombre est par ailleurs demeuré important jusqu’en 2013, période à partir de laquelle ils semblent diminuer avec l’arrivée du président Touadéra au pouvoir.

Dans ce chapitre, il s’agit de revenir sur cette période pour tenter de comprendre les déterminants des conflits centrafricains. Dans cette perspective, nous passons d’abord en revue les diverses causes établies par les chercheurs d’un point de vue générique. Nous tentons dans un second temps d’interpréter ces causes en les rapportant à la dynamique particulière de la politique africaine.

Le rapport du Secrétaire général des Nations Unies sur les causes des conflits et la promotion d’une paix et d’un développement durables en RCA, établit comme causes principales : le legs du passé (colonialisme, Guerre froide) ; les facteurs internes (nature du pouvoir politique, néo patrimonialisme, multiethnicité) ; les facteurs externes (Guerre froide) ; les motivations économiques ; et les cas particuliers (comme celui de l’Afrique centrale avec la démographie galopante et les problèmes fonciers). Pour sa part, le Département for International Développent (DFID, britannique) établit une distinction entre trois niveaux de déterminants aux conflits armés et les classe en causes profondes, causes secondaires et causes tertiaires.

Les causes profondes de la crise centrafricaine voulue constamment par la France qui impose ses décisions à l’UE sont notamment à rechercher dans l’effondrement de l’État, le déclin économique, la culture de violence héritée de l’État colonial et la rareté ou l’abondance des ressources. Les causes secondaires seraient le chômage, le manque d’éducation, la pression démographique, l’instrumentalisation de l’ethnicité, la disponibilité des armes, la faiblesse de la société civile.

Les causes tertiaires proviendraient de débordements régionaux des conflits, de la faible consolidation de la paix qui entraîne une reprise des hostilités, de l’absence de garants de la paix, de la médiation inappropriée qui permet aux combattants de se réarmer, de l’instrumentalisation de l’aide humanitaire pour assurer la survie des groupes armés.

C’est suite à cette mauvaise politique de dominance occidentale que le sentiment anti-français se développe un partout en Afrique, et le président français Emmanuel Macron augmente l’aide au continent, commence à restituer les objets culturels volés pendant les guerres coloniales et va au-delà des liens intergouvernementaux habituels pour impliquer les jeunes générations et la société civile.

Il maintient les troupes françaises au Sahel pour lutter contre les militants djihadistes qui tuent tant de civils, de policiers et de soldats locaux et soutient le bloc régional de la Cedeao, qui tente de défendre les politiques électorales contre les prises de contrôle militaires. Cette année, il s’est rendu au Rwanda pour reconnaître publiquement les échecs de la France pendant le génocide de 1994. Pourtant, son pays est désormais la cible de plaintes et de critiques africaines aigries, à une échelle probablement sans précédent.

En septembre, le Premier ministre malien Choguel Maïga est accueilli par une vague de commentaires sympathiques lorsqu’il profite d’un discours à l’ONU pour accuser la France d' »abandonner son pays en plein vol », après que M. Macron commence à réduire le déploiement de troupes dans le pays.

Parmi les commentateurs progressistes d’Afrique de l’Ouest et les jeunes urbains, il est désormais courant d’entendre des appels à l’abolition du franc CFA – la monnaie régionale utilisée par de nombreux pays francophones et qui est arrimée à l’euro sous la garantie du gouvernement français. Ses détracteurs affirment que cela permet à la France de contrôler les économies des pays qui l’utilisent, tandis que la France affirme que cela garantit la stabilité économique.

Comment expliquer ce paradoxe ? Comment se fait-il qu’un président plus soucieux de l’Afrique que la plupart de ses prédécesseurs récents, et plus conscient aussi de la façon dont le continent change, se heurte à un niveau d’impopularité française qui n’a pas été ressenti depuis des décennies ? Le président Macron est contraint de rectifier rapidement le tir, en se rendant à Niamey, la capitale du Niger, pour rendre hommage aux militaires nigériens morts et en reportant le sommet à janvier 2020.

Mais les causes du malaise actuel de la France remontent aussi à des décennies. « Vous pouvez citer des controverses historiques liées à la colonisation. Beaucoup d’entre nous sont les enfants de parents qui ont connu la période coloniale et ses humiliations », explique un observateur politique centrafricain.

Au cours des premières décennies qui ont suivi l’indépendance, la France a entretenu un réseau dense de relations personnelles avec les dirigeants et les élites africains – surnommé « françafrique » – qui a trop souvent glissé vers une protection mutuelle des intérêts particuliers, avec peu de considération pour les droits de l’homme ou la transparence.

Parmi les puissances extérieures, Paris était loin d’être la seule à être de connivence avec des alliés dictatoriaux, mais ses relations étaient particulièrement étroites et indiscutables.

La présence militaire française alimente un sentiment de mécontentement de plus en plus répandu en Afrique. Pourtant, une part importante de l’opinion publique locale estime que la France, en tant que puissance militaire occidentale de haute technologie, aurait dû être en mesure de « régler » le problème et devrait maintenant se retirer si elle ne peut le faire.

Ainsi, en donnant une position aussi radicale sur la RCA au niveau de l’Union Européenne voire l’ONU, la France finit par être perçue comme un soutien de la vieille garde de maintien de la crise dans le pays de Boganda et avec cette allure, les institutions multilatéraux ne seront plus crédibles vis-à-vis de ce que la France continue d’imposer sur la RCA.

@Hervé BINAH

 

LAISSER UN COMMENTAIRE

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.