RCA : La dernière guerre centrafricaine ou ce qui attend Touadera et les Centrafricains

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Bangui, le 07 mai 21

Par Venant Mboua
Journaliste et communicateur
Coordonnateur de l’observatoire africain du Canada

Longtemps niée par les deux parties, la crise entre la France et la République centrafricaine a finalement éclatée au grand jour. Si la lutte contre les rébellions était le combat des militaires uniquement, celle pour la liberté et la souveraineté de la RCA concerne son élite avant tout.

La France a commis de nombreux crimes en Afrique noire (dont un génocide sur les populations Bassa et Bamiléké qui ont farouchement résisté à son hégémonie entre les années 50 et 60). Elle ne les a jamais reconnus, plus de 60 ans après les indépendances. Depuis quelques années pourtant, cette même France se plie en quatre pour parler aux autorités du Rwanda, un pays sorti du chaos de la guerre civile (1990-1994) et du génocide pour se donner sa pleine souveraineté. La République centrafricaine devrait apprendre beaucoup de cet exemple.

Les piliers du combat

Pour gagner la guerre dans laquelle il a engagé le pays sur deux fronts (sécurité et diplomatie) le président Touadera ne saurait ignorer les actions clé de ce type de combat, à savoir 1) ruiner l’industrie de la rébellion dans le pays, 2) recréer l’État (présence et modernisation des services), 3) éduquer les citoyens et 4) donner une image au pays à travers une stratégie de communication intégrant de nouvelles formes de communication institutionnelle, la sensibilisation à la citoyenneté responsable et le déploiement d’un plan de diplomatie publique imparable. C’est sur les fondations de ces quatre piliers que le président et son gouvernement pourront bâtir leur plan de reconstruction du pays (donc, son développement multisectoriel).

Dans cette logique, les responsabilités dans ce nouveau défi doivent être soigneusement réparties.

  • Au chef de l’État de définir sa politique de refondation et y appeler toutes les forces utiles

et compétentes (je déteste le terme <<forces vives>> abusivement utilisé en Afrique francophone. Toutes les forces dites vives ne sont pas utiles…). Depuis 2016, M. Touadera a démontré au monde entier qu’il était capable de rechercher et de soigner la paix (même quand sa démarche était contestée par son opposition, la société civile et la plupart des citoyens); depuis 2020, il a confondu ses détracteurs et convaincu les sceptiques qu’il était tout aussi capable de faire la guerre. Il s’est donc vêtu d’un costume de leader charismatique et déterminé. Il n’a plus rien à prouver sur ce plan.

Il lui reste à démontrer les capacités de rassembleur, en créant les conditions favorables à l’expression de la vérité, la justice et la réconciliation, étapes indispensables vers la paix, et, à faire preuve d’un leadership sans complaisance, guidé par la promotion, à la limite contraignante, de l’intégrité morale dans la gestion des affaires publiques.

  • À l’élite politique au pouvoir, l’heure n’est plus à l’expression bruyante du nationalisme.

Pour gagner l’estime des partenaires étrangers et s’éviter le mépris et se protéger des adversaires puissants, l’administration publique et les Hommes d’État doivent faire preuve d’exemplarité et de compétence. Il ne suffira plus de clamer son amour à la Centrafrique et son soutien nerveux au président, pour être capable d’intégrer le nouveau plan de guerre.

Sur ce plan d’ailleurs, le chef de l’État peut poursuivre sa ligne panafricaniste en recrutant des cadres africains pour renforcer le combat de modernisation de son administration.

  • Aux élites politiques de l’opposition, le moment est sans doute très critique.

Ce moment oblige à admettre qu’il y a un temps pour les combats et un temps pour la solidarité. Toute la classe politique doit se donner les chances d’élaboration d’un consensus national qui, à notre avis, sera basé sur la sécurité et la reconstruction. Il est impossible de trouver une seul Homme politique centrafricain qui n’ait pas ces deux concepts dans son discours. C’est l’essentiel. Un pays sécurisé et construit règle facilement les autres divergences qui sont alors des détails.

L’image

En moins de 10 ans, le Rwanda s’est donné une image : un pays en émergence économique, scientifique, culturelle et intellectuelle grâce aux compétences et à la détermination de ses dirigeants, panafricanistes, intègres et décomplexés. Cela peut être une image perçue. Mais justement, en diplomatie publique et en politique en général, c’est l’image perçue qui compte, l’important étant que cette image perçue soit l’image voulue par les autorités.

La RCA n’a pas d’image. Quand il en apparaît un cliché, il renvoie à l’empereur mégalomane Bokassa et …à la guerre. Plus précisément à des citoyens d’un pays qui se battent sans cesse entre eux. Ce n’est pas une image seulement perçue. Elle est totalement fausse. Mais comment le faire savoir au monde? Comment convaincre que ce pays est l’un des plus prometteurs d’Afrique en termes de ressources et de position géostratégique? Ce n’est sûrement pas par de simples invectives des <<panafricanistes>> sur des médias (à l’audience limitée en Afrique francophone), ou des jérémiades des citoyens qui veulent qu’on s’apitoie sur leur sort rendu triste par des intérêts en majorité étrangers.

Le pays a besoin de déployer une stratégie de diplomatie publique qui touche les publics et les décideurs des pays dont les humeurs pourraient influencer la marche de la RCA. D’autre part, il est important que l’État déploie une communication <<nationale>> qui encourage le Centrafricain à aimer son pays, non pas comme un chien aime un os parce qu’il le ronge, mais comme un fils qui aime et protège le patrimoine familial. Cette communication peut arriver à créer un Nouveau Type de Citoyen centrafricain, qui ne considère pas son pays comme un territoire, un comptoir à exploiter mais comme une patrie à chérir et pour laquelle on est prêt à des sacrifices.

La RCA était devenue une zone franche de la violence, un centre commercial où s’est construite sans gêne, une industrie de la rébellion alimentée par la privatisation des guerres par les intérêts publics et privés étrangers avec la complicité d’une certaine élite politico-militaire du pays. Cette situation a détruit l’école et rabaissé incroyablement le niveau d’éducation; elle a tué les compétences, les noyant dans la corruption ambiante qui accompagne les temps de chaos. Le relèvement ne demande pas surtout de l’argent (comme on l’a pensé depuis des années) mais de l’engagement déterminé et des sacrifices.

C’est ce qui attend le président Touadera et ses compatriotes.

Par Venant Mboua

Journaliste et communicateur

Coordonnateur de l’observatoire africain du Canada

 

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