Même si le monde évolue avec des mentalités parfois mitigées, le continent africain celui qui est considéré par René Dumont comme « mal partie » se trouve de nos jours au carrefour de pertinence de la corrélation entre le terrorisme et les changements anticonstitutionnels de gouvernement tant les deux phénomènes semblent se nourrir l’un l’autre, avec des causes enchevêtrées qui fournissent un terreau propice aux coups d’État militaires et aux menées terroristes sur notre continent.
Pour mémoire d’histoire s’agissant d’abord du terrorisme, il faut rappeler que le phénomène était au départ localisé essentiellement en Somalie et en Algérie. Vaincu en Algérie, il a malheureusement prospéré en Somalie. C’est à partir de 2011, qu’il a véritablement explosé en Afrique à la faveur de la crise libyenne. Celle-ci a favorisé l’arrivée au Sahel de milliers de combattants et de mercenaires étranger.
Elle a provoqué l’afflux d’organisations terroristes défaites au Moyen Orient. Elle a occasionné la circulation incontrôlée des armes. Progressivement, le terrorisme a pris de l’ampleur et a étendu ses tentacules à d’autres régions du Continent. De la Libye, au Mozambique, du Mali, du Golfe de Guinée en Afrique de l’Ouest à la Somalie en passant par le Sahel, le Bassin du Lac Tchad et l’Est de la RDC, la contagion terroriste continue de s’accentuer.
L’Afrique n’a pas tardé à réagir à travers la constitution de forces communes de lutte, telles que l’AMISOM /ATMIS en Somalie, la Force Mixte
Multinationale dans le Bassin du Lac Tchad, la Force conjointe du G5 Sahel, la mission de la SADC au Mozambique (SAMIM) et les initiatives bilatérales aussi au Mozambique.
Aux mesures opérationnelles s’est ajoutée la réactivation par l’Union africaine des instruments juridiques destinés à lutter contre le terrorisme tels que le Plan d’action sur la prévention et la lutte contre le terrorisme adopté en 2002 comme cadre opérationnel de la Convention de l’OUA sur la lutte contre le terrorisme, adopté en 1999 et son Protocole adopté en 2004.
Il convient également de mentionner la Déclaration de Johannesburg sur l’initiative de Faire taire les armes et la Feuille de route de l’UA sur les mesures pratiques pour faire taire les armes en Afrique à l’horizon 2030.
Ces principes forts ont été complétés par des réflexions pertinentes faites lors des différents fora tenus sur la paix et la sécurité en Afrique
En dépit de toutes ces initiatives, le terrorisme ne faiblit pas sur le Continent. D’abord, en raison d’une insuffisante solidarité africaine avec les pays victimes du terrorisme, mais aussi en raison du non-respect de nos propres engagements.
Pour preuve, signalons seulement le cas de la Force Africaine en Attente qui, depuis sa création, n’est pas encore opérationnelle. Sur cette question, la volonté politique a fait défaut, alors que nous avons les moyens et les hommes qu’il faut. Les armées africaines comptent environ 2.700.000 hommes. Mobiliser seulement 1 à 2 % de cet effectif et les doter des moyens nécessaires permettraient de réduire notre dépendance des forces étrangères et de faire face, avec plus de chance de succès, au terrorisme.
On sait que le combat contre le terrorisme est ralenti par l’absence d’un engagement fort de la Communauté internationale à nos côtés. Celle-ci applique à notre égard la politique de double standard international. Alors que la lutte contre DAESH au Moyen-Orient a bénéficié d’une mobilisation internationale à tous les niveaux, celle contre le terrorisme en Afrique est réduite à la portion congrue.
S’agissant maintenant des changements anticonstitutionnels des gouvernements, nous avons récemment tous vécu, avec consternation et inquiétude, le retour en force des coups d’État militaires dans certains de nos États membres. On assiste ainsi à la résurgence d’une pratique que nous croyions à jamais révolue, avec l’avènement d’une nouvelle ère, celle prometteuse de la consolidation démocratique.
Parmi les causes de ces changements avancées par les putschistes de ces derniers mois, figurent en bonne place l’incapacité, selon eux, des pouvoirs civils démocratiquement élus à combattre efficacement le terrorisme. Ainsi donc, aux justifications à posteriori désormais classiques, telles que l’impéritie des gouvernements civils, la mauvaise gouvernance sous toutes ses formes, la crise de légitimité des institutions démocratiques, s’ajoute désormais l’argument du monopole de la compétence en matière de lutte contre le terrorisme détenu par les managers de la violence légitime d’Etat, que sont les armées.. Ce nouvel argument qui est apparue ces derniers temps sur la scène politique et médiatique africaine renforce le lien entre terrorisme et changements anticonstitutionnels de gouvernement évoqué plus haut. De la corrélation, on glisse ainsi dangereusement vers la causalité. Les coups d’Etat deviennent, dans cette perspective, l’effet logique de l’expansion du terrorisme.
C’est à ce niveau que se pose la question lancinante du respect des dispositions constitutionnelles internes et des engagements juridiques continentaux auxquels nos états membres ont librement souscrit et qui proscrivent de manière non-équivoque l’accession au pouvoir par des moyens anticonstitutionnels.
La pérennité et la stabilité des institutions démocratiques est un gage du développement économique et social de nos pays. Inversement, les ruptures intempestives des processus démocratique en cours constituent des entraves sur le chemin de l’émergence du continent.
Aussi devient-il urgent d’affiner l’analyse des causes de cette résurgence des usurpations militaristes du pouvoir afin d’en déterminer la thérapeutique appropriée. L’Afrique est sans doute le dernier continent au monde à vivre avec une telle intensité le terrorisme et ou existe encore des changements inconstitutionnels. Il est incontestable que ces deux phénomènes inversent nos priorités de développement et entravent notre marche vers le progrès.