Centrafrique : La décision de la cour constitutionnelle relative à l’invalidation des candidatures des députés en fonction continue d’envenimer le paysage politique

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Bangui, le 01 décembre 20

La République centrafricaine cherche à marquer une fois de plus son histoire en organisant les élections libres, crédibles, paisibles, transparentes et surtout démocratique ce qui fera entrer sa jeune démocratie dans le concert des grandes nations. Cependant, la décision de la Cour constitutionnelle relative à l’invalidation de certaines candidatures risquerait apporter plus de mal que de bien. C’est dans ce sens que Me Jean-Louis OPALEGNA dans sa plaidoirie prône l’implication du politique pour une participation inclusive de tous les candidats afin d’alléger les souffrances des populations surtout dans les zones où les groupes armés sont en gestation.

Voici l’intégralité de sa contribution

La décision n° 024 de la Cour Constitutionnelle du 27 novembre 2020 arrêtant la liste définitive des candidats aux élections législatives du 27 décembre 2020 et sa portée sur le processus électoral en cours

Contributions

Par la volonté du législateur, la Cour Constitutionnelle de la République est la seule institution judiciaire compétente pour connaître des contentieux de candidature et d’éligibilité aux élections présidentielle, législatives, sénatoriales, régionales et municipales.

Elle exerce ladite compétence dans deux (2) hypothèses :

  • la première, c’est lorsque la Cour Constitutionnelle est amenée à examiner chacune des candidatures enregistrées par l’Autorité Nationale des Elections (A.N.E) lesquelles lui sont transmises après la publication de la liste provisoire de candidature. Dans cette hypothèse ladite cour examine les pièces constituant chacun des dossiers  et rend sa décision dans un délai de quinze (15) jours ;
  • la seconde concerne les contestations de candidature en cas de méprise dans sa présentation, lorsqu’un(e) candidat(e) aux élections présidentielle, législatives sénatoriales, régionales et municipales ne remplit pas les conditions prévues ou encore en cas de refus injustifié de l’A.N.E d’enregistrer une candidature à l’une quelconque des élections ci-dessus énumérées. Dans ce cas, la Cour Constitutionnelle est saisie par tout intéressé, le candidat lui-même ainsi que le parti, l’association ou le groupement politique légalement constitué ayant présenté le candidat ou parrainer sa candidature.

La requête écrite et motivée comportant les noms et prénoms, l’adresse et la signature du requérant est adressée, pour les électeurs de Bangui, au Président de la Cour Constitutionnelle et, pour les électeurs de province, au démembrement de l’A.N.E pour transmission à la Cour Constitutionnelle. Elle est notifiée par les soins du Greffier en Chef dans les deux (2) jours qui suivent l’enregistrement de la requête à l’A.N.E, et aux candidats dont l’éligibilité est contestée, le cas échéant, les informant qu’ils disposent de cinq (5) jours pour déposer leurs mémoires en défense au Greffe de la Cour Constitutionnelle.

La décision de la Cour Constitutionnelle intervient dans un délai de quinze (15) jours au plus tard après la publication de la liste provisoire des candidats par l’A.N.E ; étant entendu qu’aucune décision ne peut être  rendue sans que le dossier ait fait l’objet d’une instruction sanctionnée par un rapport. Elle précise les candidatures validées et celles invalidées.

Cette décision qui n’est susceptible d’aucun recours est immédiatement exécutoire. Ainsi, saisie de celle-ci, la Cour Constitutionnelle constate l’inéligibilité d’un(e) candidat(e), fait procéder au reclassement des candidat(es) et publie la liste définitive de candidature à l’élection concernée.

Il convient de rappeler que dans sa décision n° 024/CC/20 du 27 novembre 2020, la Cour Constitutionnelle de la République Centrafricaine a :

  • déclaré recevables en la forme, les mille cinq cent quatre cinq (1585) dossiers de candidature aux élections législatives du 27 décembre 2020, ainsi que les cinquante-neuf (59) requêtes reçues dans le délai et ayant pour objet , l’invalidation de candidatures, les rectifications d’erreurs matérielles et les contestations de rejet opérées par l’A.N.E ;
  • déclaré irrecevables pour forclusion, les dossiers déposés par Monsieur POMONDI Jean-Pierre et le Mouvement Démocratique pour la Renaissance et l’Evolution de Centrafrique (M.D.R.E.C) représenté par son Président, Monsieur BENDOUNGA Joseph et déposées, le 20 novembre 2020, respectivement à 13 heures 40 minutes et 13 heures 45 minutes sous les numéros 138 et 139 ;
  • invalidé soixante-dix-huit (78) dossiers de candidature aux élections législatives du 27 décembre 2020, figurant sur la liste provisoire publiée par l’A.N.E, le 13 novembre 2020 ;
  • validé les autres candidatures figurant sur la même liste ;
  • ordonné à l’A.N.E de procéder à la rectification d’erreurs matérielles sur les candidatures telles que listées par sa décision et la publication de la liste définitive des candidats aux élections législatives, le 3 décembre 2020
  • ordonné au Ministère des Finances et du Budget le remboursement de la caution aux candidats dont la candidature a été invalidée.

L’exercice auquel nous nous livrons aujourd’hui, consiste tout d’abord à présenter les incohérences que cette décision comporte par rapport au droit positif même si elle émane d’une institution politico-judiciaire et de faire des propositions en faveur de l’organisation des élections apaisées, libres, transparentes, démocratiques et acceptées de tous.

Aussi, du fait que les décisions de la Cour Constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours, elles prennent effet à compter de leur prononcé et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles, et à toute personne physique ou morale, on est en droit de s’interroger sur l’apport de la décision n° 024/CC/20 du 27 novembre 2020, dans l’évolution du droit constitutionnel en République Centrafricaine (I) et sa portée sur le processus électorale en cours(II).

  • Apport de la décision n° 024/CC/20 du 27 novembre 2020, dans l’évolution du droit constitutionnel en République Centrafricaine

Il résulte de l’analyse de la décision n°024/CC/20 du 27 novembre 2020, que la Cour Constitutionnelle de la République Centrafricaine,  jouant à l’équilibriste n’a apporté aucune clarté dans sa décision commettant, ainsi au passage, de graves violations et mauvaise application des dispositions constitutionnelles et légales.

En effet, il est de notoriété qu’après avoir accueilli favorablement une requête en la forme, toute juridiction se doit de l’examiner au fond afin d’y donner une suite en tranchant le litige qui est porté à sa connaissance conformément aux règles de droit qui lui sont applicables  et  en donnant ou en restituant  leur exacte qualification aux faits et actes sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposés.

Malheureusement, force est de constater qu’après avoir dressé la liste des cinquante-neuf (59) requêtes dont elle est saisie, la Cour Constitutionnelle a seulement affirmé péremptoirement que lesdites requêtes avaient pour objet, l’invalidation de candidatures, des rectifications d’erreurs matérielles ou des contestations de rejets effectués par l’A.N.E.

A la lecture de sa décision on s’aperçoit aisément que celle-ci ne précise pas le nom des défendeurs visés par ces requêtes et n’a procédé que par déduction.

Par ailleurs, on est en droit de se demander aussi, si lesdites requêtes ont été notifiées aux différents défendeurs avec avis de déposer leur mémoire respectif dans un délai imparti. Ainsi, en ne le faisant pas, la Cour Constitutionnelle de la République Centrafricaine n’a pas mis les défendeurs en état de présenter leurs moyens de défense.

En outre, faisant usage de son pouvoir d’examiner d’initiative les dossiers qui lui sont parvenus, c’est-à-dire nonobstant l’absence de recours, la Cour Constitutionnelle de la République s’est focalisée sur les dispositions de l’article 28 alinéa 1 de la Constitution du 30 mars 2016, la décision du 22 mai 2018(décision n° 002/CC/18) par laquelle elle a précisé les critères d’éligibilité des anciens membres des groupes armés au processus de Désarmement, Démobilisation, Réinsertion et Rapatriement (DDRR) et aux nominations aux emplois publics ainsi que sur les dispositions des articles 37, 134 et 135 du Code Electoral.

Aussi, a-t-elle invalidé treize (13) candidatures d’anciens membres des groupes armés au motif que la présence de ceux-ci qui sont toujours actifs, comme candidats aux législatives est de nature à porter gravement atteinte à la sincérité du vote.

En outre, se fondant sur l’absence de preuves de bonne moralité ce qui selon elle, est caractéristique de mauvaise moralité, la Cour Constitutionnelle a invalidé quinze (15) candidatures pour des motifs allant de défaut de paiement de dette civile et commerciale à des condamnations à une peine afflictive ou infamante en passant par le fait d’être poursuivi devant une juridiction ou simplement devant un juge d’instruction.

Si certains de ces motifs sont fondés, il n’en est pas ainsi lorsque les informations y relatives n’ont pas été obtenues régulièrement ou lorsque ces motifs sont en contradiction avec les dispositions de la Constitution du 30 mars 2016, notamment en son article 4 qui prône la présomption d’innocence ou encore si lesdits motifs sont irréels et non fondés.

Ainsi, la décision n°024/CC/20 du 27 novembre 2020, de la Cour Constitutionnelle de la République Centrafricaine a un apport plus tôt négatif qui entame l’évolution du droit Constitutionnel en République Centrafricaine.

  • La portée de la décision n°024/CC/20 du 27 novembre 2020 sur le processus électorale en cours

Il convient de rappeler que dès lors que la liste des candidatures invalidées a été établie et que la Cour Constitutionnelle a ordonné respectivement à l’A.N.E et au Ministère des Finances et du Budget de publier, la liste définitive des candidats aux législatives le 3 décembre 2020, et de rembourser le montant de la caution exigée, sa décision n°024/CC/20 du 27 novembre 2020 ne peut qu’entraîner des conséquences sur le processus électoral en cours.

En effet, une centaine de candidats ne sont plus autorisés à battre compagne et à participer aux législatures futures en exécution de ladite décision.

Aussi, la compagne relative à ces élections risque d’être très mouvementée du fait des membres des différents groupes armés dont les candidatures ont été invalidées dès l’instant où la Cour Constitutionnelle a reconnu, elle-même, que le processus de DDRR n’est pas encore achevé et que lesdits groupes continuent d’occuper une partie du territoire centrafricain. Il est à craindre un regain de violence lors de cette  compagne.

En outre, le vote en République Centrafricaine étant encore ethnique et tribale, les élections futures risquent de connaître un fort taux d’abstention.

Fort de ce qui précède, la dignité étant du côté de l’adoption d’une mesure politique en faveur de l’organisation d’élections inclusives, apaisées, libres, transparentes, démocratiques et acceptées de tous, nous en appelons à la sagesse de tous pour la recherche de la solution salvatrice.

 

Fait à Bimbo, le 30 novembre 2020

Maître Jean-Louis OPALEGNA

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