Centrafrique : du ridicule au désir de construction

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Bangui, le 15 déc. 21

La crise centrafricaine est sans doute d’une grande complexité, mais ce qui l’a rendu encore plus indéchiffrable à bien des niveaux est son environnement et le schéma dans lequel on cherche à la résoudre. Au fil des tutelles coloniales, néocoloniales et régionales, l’Etat centrafricain, jamais vraiment construit, s’est dissout dans la militarisation de sa politique et l’ethnicisation de ses pouvoirs respectifs. Même si certains chefs d’Etat furent élus démocratiquement par un peuple souverain, la gestion brutale et prébendier du pouvoir ne pouvait qu’entretenir des rebellions permanentes. De nos jours, la République centrafricaine est l’un des seuls pays au monde en proie à plus de quatorze rébellions tolérées.

On se souvient pour mémoire qu’au printemps 2007 sous le régime Bozizé, un ancien ministre de l’Economie et des Finances du général Kolingba, Thierry Bingala, s’est rendu pour la première fois à Bangui, après dix ans d’absence passés à Paris. Interrogé à son retour dans la capitale française sur ses impressions, il a décrit un Etat clochardisé qui, au fil des mutineries et des coups d’Etat de force depuis 1996, n’a cessé de s’abimer dans une crise durable : «le seul changement que j’ai remarqué, c’est que des arbres ont poussé le long de l’Avenue des Martyrs, a expliqué Thierry Bingala. Sinon j’ai retrouvé les chantiers inachevés dans le même état qu’il y a dix ans » (Entretien de Crisis Group, Paris, juin 2007). Dans la capitale centrafricaine, le temps paraît en effet suspendu dans la réalisation des grands travaux durant cette longue période. A l’intérieur du pays au point mort, et notamment dans le nord, le pire semble même sûr de succéder à un mal déjà profond : depuis une bonne période, et à cette période de la saison de pluies, des centaines des milliers de personnes capent dans la forêt, par peur des hommes armés, des insurgés, coupeurs de routes et mercenaires étrangers qui commettent des exactions au vu et au vu de la communauté internationale et nationale. Les enfants de ces déplacés ne vont pas à l’école comme il se doit ou comme ceux de la capitale car, il n’y a plus d’écoles publiques et  dans certaines zones les bâtiments ont été incendiés par la fureur des criminels de grand chemin. L’Etat est un fantôme tant il n’existe plus que de nom. Il ne rend plus aucun service aux citoyens et les groupes armés sont les maîtres du pays.

Dans ce contexte de disparition d’un Etat, la communauté internationale ne doit pas se tromper d’analyse. Le Centrafrique est d’abord et surtout en proie à une dynamique de crise endogène, un vortex de problèmes institutionnels. A ce titre, elle aspire par le vide, tous les apports extérieurs des aides bien intentionnées autant que les soldats perdus des pays voisins ou ceux européens. La RCA fait l’objet en suite d’une tutelle multiforme : celle, postcoloniale, de la France, celle des autres Etats d’Afrique centrale, à titre de coopération régionale, celle du Tchad voisin, l’encombrement protecteur des anciens régimes confondus comme l’avait été la Lybie pour le pouvoir acculé d’Ange Felix Patassé auparavant.

Le Darfour n’est donc pas une bonne raison pour, enfin, s’intéresser à la RCA. Toutefois en absence d’une meilleure, la crise au Soudan qui a été à l’origine de la division du pays à partir des agitations des rebelles dans l’ouest de ce pays, sur laquelle s’est focalisée l’attention de la communauté internationale, a apporté dans ce pays bien plus de criminels et d’interlocuteurs qu’elle n’avait jamais eu auparavant. C’est un bienfait ambigu car, à moins d’intégrer cette assistance dans une stratégie concertée pour combattre le «mal centrafricain », il risque de fournir, au contraire, du carburant à la crise interne. Comment comprendre que le Soudan qui a fait naître l’Accord Politique pour la Paix et la Réconciliation en République Centrafricaine signé à Bangui le 06 février 2019, devienne de nos jours une pépinière des mercenaires qui massacrent, pillent, violent et exploitent allégrement les ressources naturelles du pays ? A ce titre, il paraît important que la communauté internationale n’ait pas tiré les leçons de la chute du régime Patassé, lui aussi arrivé au pouvoir par élection démocratique mais délégitimé par l’exercice du pouvoir issu des armes.

UN GRAND BOND EN ARRIERE POUR SON ECONOMIE

Sur le plan économique, la RCA a connu un « grand bond en arrière » depuis les années 1970. Selon les sources concordantes qui situent le Centrafrique au 175e rang sur 177, 67% de la population vit désormais sous le seuil de pauvreté, avec moins d’un dollar par jour. Forgée par le père de la nation Barthélémy Boganda et inscrite dans le préambule de la Constitution, la belle devise de la Centrafrique : «un homme en vaut un autre » Zo Kwe Zo en sango, la, langue nationale est désormais  démentie, tous les jours, par les faits. L’espérance de vie, en baisse constante, est passée en 2019 sous la barre de 40 ans, selon le Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD). Le Sida y a sa part et les groupes armés leur part mais la plus grande part revient à la pauvreté. Avec un taux prévalence de 16.5% alors qu’il n’était que 2% en 1984, le pays d’Afrique centrale le plus touché par la pandémie du SIDA. En province de nos jours, plus d’un enfant sur dix meurt avant l’âge de cinq ans. Moins de la moitié des adultes sont analphabètes et le taux de scolarité est tombé.

D’un tissu industriel qui n’a jamais été fourni, il ne reste plus des flambeaux : une seule brasserie, une usine de contreplaqué et des sociétés forestières toutes étrangères qui, depuis l’assainissement du secteur en 2003, emploient 5000 travailleurs permanents et autant de temporaires, soit la moitié de l’ensemble de la main d’œuvre du secteur formel de l’économie localement appelées les entreprises citoyennes parce qu’elles seules se soumettent à la fiscalité et aux règles édictées par l’Etat.

En même temps, l’agriculture vivrière n’est guère qu’un moyen de subsistance. En raison d’une insécurité devenue endémique, qui rend périlleuse toute tentative de commercialisation, les paysans n’évacuent plus leurs produits dans la capitale à tel point que Bangui importe les oignons depuis le Cameroun comme si la terre centrafricaine n’était pas fertile. Pour preuve de cette insécurité alimentaire, la cuvette de manioc principal aliment du pays qui se vendait dans un passé récent à 2000 FCFA (avant l’avènement de la Séléka) est vendue de nos jours sur les marchés de la capitale à 4500 FCFA. A ce niveau de vie, le Centrafricain moyen ne peut plus manger à sa faim. C’est également dans ce pays voisin et ami que se sont réfugiés, avec leurs troupeaux, les éleveurs de bétail, souvent des peuhls «les pasteurs se plaignent de l’insécurité due aux coupeurs de route non seulement des vols des bétails mais des chantages avec des enlèvements d’enfants ». Le déclin des infrastructures de transport, constant depuis l’indépendance, fait le reste. En Centrafrique, en raison de leur profondeur, les nids de poule dans les rares routes bitumées ont été rebaptisés « nids d’Autruche ». On se souvient pour mémoire  l’ancien Premier ministre Jean Paul Ngoupandè a résumé cette situation en ces termes : «le retour à une vie précoloniale»

Pour autant la vie dans la capitale centrafricaine peuplée à plus de 2 millions d’habitants, n’est guère plus enviable comme fut le cas dans sa période glorieuse des années 70 où le Centrafricain pouvait manger facilement plus de trois fois même avec un salaire catéchétique. Le temps est vite passé qu’on ne parle de la RCA que dans les bibliothèques de l’histoire. L’eau et l’électricité ne sont pas en reste pour les foyers solvables.

C’est dans ce contexte que fut élu le président Touadéra après une longue période de transition politique. Dès son arrivée,  les pendules étaient à zéro. La signature de l’Accord de Khartoum avec ses dividendes permet du moins d’assurer les nouvelles bases pour la relance économique. Le temps donnant sa raison à la patience, progressivement le pays sort de l’ornière de violences armées avec le déploiement des FACA en arrière-pays.

@JACKO 1ER, 

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