Centrafrique : ‘’Trop de lois tuent la loi’’ selon l’Universitaire Abdias NDOMALE

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Bangui, le 26 mars 2020

Abdias NDOMALE
Enseignant-Chercheur à la Faculté des
Sciences Juridiques et Politiques
Chef de Département de Droit Public
A l’Université de Bangui (RCA)

L’Enseignant-Chercheur à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques et Chef du Département de Droit public à l’Université de Bangui, Abdias Ndomalé a développé une réflexion autour de textes officiels pris dans notre pays. Dans ce travail bien mérité, ce dernier a éclairé les lanternes sur les lois et décrets du temps de Djotodia et l’actuel pouvoir du président Touadéra. Ci-dessous l’intégralité de sa réflexion…

 TROP DE LOIS TUENT LA LOI

Le paradoxe de notre temps est le décalage entre l’ampleur des lois et le côté dérisoire du développement quantitatif. Devant la profusion des lois, les juristes déplorent « l’inflation législative » qui ravage l’activité des législatures caractérisées par la multiplication du volume des lois promulguées au cours de dernières décennies en RCA. Le contexte est marqué à la fois par la prolifération des lois et par la dégradation de la qualité des normes juridiques comportant le risque d’une insécurité juridique.

C’est un phénomène sociétal qui s’est accéléré avec l’alternance politique et les transitions en RCA. Dès lors, il est légitime de poser la question suivante :

Comment l’inflation législative détruit-elle la loi ?

Il est difficile pour l’homme de vivre sans loi, car la loi est la base de toute société. Le phénomène se présente ici en terme de, déséquilibre et d’excès. L’inflation législative se traduit par une mauvaise qualité de la loi, les textes sont longs, flous, tantôt la loi manque de clarté et d’intelligibilité…

La loi doit avoir certaines qualités : l’unité, l’ordre, la précision et la clarté. L’interprétation n’est nécessaire que lorsque le texte est obscur. Par contre, elle est superflue lorsque le texte est clair. Les citoyens  ont un sentiment d’insécurité juridique parce qu’ils ne savent plus distinguer la frontière entre comportement juridiquement répréhensibles  ou non.

Le concept d’inflation législative est englobant ; les textes réglementaires comme les décrets, les arrêtés y font partie intégrante. Dans le contexte centrafricaino-centrafricain, les décrets et les arrêtés sont plus nombreux que les lois. La tendance naturelle est à la multiplication des textes.

Le tableau ci-après affiche deux régimes  permettant de s’en faire une idée en termes de temps et de volume.

Lois et décrets Année durée Nombre
Régime de Djotodia 2013 8 mois 516
Régime de Touadera 2016 8 mois 303

Source : SGG Janvier 2020

Le nombre de textes s’est accru et la valeur s’est effondrée. Par conséquent, le déclin de la loi en tant que source du droit se confirme. La multiplication des textes règlementaires, occasionne la perte de prestige de l’Assemblée Nationale au profit d’un rôle croissant du pouvoir exécutif. Nous ne sommes plus soumis aux lois mais aux législatures.

La qualité d’une assemblée législative ne peut pas dépendre du volume des lois produites par celle-ci. Sinon dès qu’un problème de société surgit, le recours au législateur est le premier, voire le seul réflexe aboutissant souvent à une loi par avant, dont la seule fonction est de donner à l’opinion publique le sentiment que le problème a été résolu. -Assez-souvent la loi substitue la fiction à la réalité. Il ne s’agit pas de diaboliser les institutions de la RCA, mais d’explorer les pistes pour mieux appréhender le phénomène. En effet, au nom de la politique, le décideur s’écarte  parfois  sans  se rendre compte réellement de la réalité vivante.  Le réalisme empirique avouant  vite ses limites, on lui a adjoint la distinction entre qualités premières et qualités secondes.

Le style littéraire des lois en RCA n’est même plus à comprendre comme un objet que le juriste pouvait analyser scientifiquement. Le droit, c’est la réalité. La réalité que la science juridique étudie doit être dépouillée de ses apparences trompeuses.

Le monde qui nous environne est dominé par les dangers de l’image qui viennent de ce qu’elle est polysémique.

Ces différentes représentations du réel surtout avec la génération internet sont de nature à brouiller  la fiabilité de ce qui est représenté.

Pour Aristote «  la vérité est la propriété d’un jugement affirmant  que ce qui est ou que ce qui n’est pas n’est pas ». En clair, la vérité possède un caractère permanent, d’universalité et de nécessité. On dira qu’une vérité scientifique est toujours démontrée.

La multiplication des normes juridiques engendre beaucoup de contrevérités et des conséquences défavorables :

  • L’insécurité juridique ;
  • Le blocage, voire l’asphyxie de certaines activités de surcroît, la confusion entre les normes juridiques, techniques et professionnelles.

Les juristes ont du mal à maîtriser les lois. Ils sont obligés de se spécialiser dans un petit domaine de droit. C’est  contraire  à l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi qui constituent des objectifs de valeur constitutionnelle.

Quand le droit bavarde on ne l’écoute plus. Montesquieu a cru juste d’écrire : «  il ne faut point de lois inutiles, elles affaibliraient les lois nécessaires ».

Il existe un langage spécifique du droit. Pour éviter une cacophonie normative, il y a la nécessité d’avoir une terminologie exacte qui s’impose  au législateur, au juge, aux chercheurs. Pour comprendre le sens des lois, il faut que les mots correspondent à des concepts juridiques ayant un contenu précis et juridique.

En RCA, la loi souffre encore d’un autre mal, celui de l’absence de normativité, qui produit «  un droit mou ». Ce phénomène est observable dans de nombreux textes par lesquels le parlement montre aux citoyens ses bonnes intentions. Un pays où il y a la multiplication des lois, peut être considéré comme  un pays corrompu. L’idéal n’est pas d’élaborer une loi, mais d’abriter ou de réguler  comme dans un match de ping-pong entre les intérêts divergents des différentes couches de la société.

En RCA les droits de l’enfant sont encore insuffisamment respectés au regard des articles :

2,7,8,9,16,19,20,21,22,23,32,33,34,35,36,37,38,39, et 40 de la convention relative aux droits de l’enfant et de la section 6  de la déclaration du millénaire[….].

L’Etat n’aime pas qu’on lui désobéisse, c’est pourquoi, il multiplie les lois   et les règlements…

Le législateur centrafricain doit tout faire  pour rééquilibrer  le volume en terme de temps de réflexion, en  vue de pallier  cette carence au niveau des droits qui vont des droits classiques, politiques, civils, économiques, sociaux et culturels, voire de la 3ème à la 4ème génération.

On  a constaté, que le droit en RCA, conçu selon le modèle occidental, n’a pas fait  beaucoup avancer la cause du pays. Keba M’Baye a écrit  que : « chaque population a sa conception propre et originale du droit ». Il faut savoir, la RCA renferme une grande diversité de groupes ethniques et linguistiques qui ont une histoire riche et complexe… En RCA. Les fondements de l’anthropologie juridique résistent au modèle occidental. La pensée juridique n’est pas inscrite sur papier, elle existe dans les choses. Il suffit de les mettre en ordre. En outre, la CEMAC constitue une source d’inflation législative, car son domaine d’intervention n’a cessé d’augmenter d’année en année.

L’harmonisation d’une règle communautaire dans l’ordre juridique interne, supprime rarement, les dispositions antérieures. De même, l’obligation de transcrire la directive CEMAC en matière de finances publiques est souvent l’occasion de procéder à des transpositions qui n’en sont pas la conséquence de droit indispensable mais apparaissent comme l’accessoire nécessaire de l’environnement juridique en Afrique centrale.

En RCA comme en France ou aux USA, les différences existent dans la nature même de la loi d’un pays à l’autre. Il faut agir avec beaucoup de prudence. Les idéologies et les dogmes ont été quelque peu bousculés par le pragmatisme des ordres juridiques.

Selon les analystes, c’est pendant les transitions en RCA, que le pays a connu un net recul concernant l’état de droit. On a perdu la conception traditionnelle de la Loi, qui était d’une loi générale, abstraite et permanente. De droit modèle, on est  passé avec la transition à un droit Suiveur. Le droit est devenu plus idéaliste que réaliste. Il n’y a pas de régime de transition mais plutôt un modèle constitutionnel de la période qui reprend partout les mêmes éléments, sans en tirer les mêmes conséquences.

Les particularités de la RCA se situent au niveau de l’application de la Loi. C’est un dysfonctionnement qui date des indépendances. Parfois c’est la non-application des lois, quelque fois, c’est la mauvaise application et le retard dans l’application des lois. L’idéal, c’est l’application de la loi qui est un acte de qualité qui serait au monde des normes ce que la haute coutume est au monde du vêtement. Des textes d’applications sont très lents à paraître. Ils sont nécessaires pour faire appliquer les Lois. Mais, le législateur, est méfiant à l’égard du pouvoir règlementaire, celui-ci a pris la précaution à énumérer, parfois, ce que, sera le contenu du future texte d’application contribuant ainsi  à  gonfler le volume de ses propres lois.

L’on peut évoquer les incohérences praxéologiques qui résultent de ce que l’application de certaines lois peut avoir pour conséquence de réduire les effets de l’application d’autres lois.

L’administration centrafricaine a des difficultés de choix de mise en œuvre des nouvelles lois de la République. L’administration  doit obéir à la loi qui constitue à la  fois le fondement, le cadre et les limites de son action. Le phénomène suppose de définir des procédures de décision, les autorités de gestion dotées de moyens nécessaires pour l’application de la loi. A cela s’ajoutent  d’une part, une volonté d’agir des cadres, et, d’autre part, la volonté politique. Les deux vont de pair. Les cadres retardent ou font échouer les réformes les plus utiles si celle-ci ne correspondent pas à leurs vœux, pourtant «  en obéissant à la loi, l’individu n’obéit qu’à lui-même » (Kant). De Descartes à Kant, la raison centrale dans la philosophie occidentale nous interpelle. De son côté, la philosophie africaine, sans nier  le rôle de la raison, évolue plutôt son référentiel sur la relation interpersonnelle et communautaire.

Cette posture n’est pas de nature à améliorer la situation actuelle. Car le pays ne fonctionne pas sur une base logique. La doctrine fait des commentaires pour montrer les défauts du législateur. En RCA, les textes sont disparates, s’intercalent, des cascades de références rendant la connaissance de la législation centrafricaine souvent aride. Le vaste mouvement de codification du droit qui s’annonce constitue un grand chantier et un  puissant moteur d’inflation législative. «  On ne peut pas gérer la société par Décret » (crozier). Le débat sur le retour de l’Etat –régulateur domine depuis les années 80 avec au centre, la réduction du rôle de l’Etat, marquée par la déréglementation. Désormais, l’intervention de l’Etat a pris souvent la forme d’une réglementation, c’est un mauvais choix avec des conséquences défavorables, l’Etat est un médiateur entre la règlementation et la régulation de la société contemporaine.

En guise d’illustration, la réglementation des taxi-motos en RCA est un luxe. Il faut noter qu’ils n’y a pas de moto-école en RCA. La réglementation n’apporterait pas une solution appropriée à l’exercice de cette activité. Alors que les pouvoirs publics se contentent du guichet unique de versement des droits de douane et des impôts,  le transport des motos- taxis reste un secteur promoteur qui nécessite une régulation.

Le secteur offre des opportunités aux jeunes de trouver de l’emploi. Les pouvoirs publics doivent privilégier la régulation du taxi motos. Aux USA, pour répondre au besoin de régulation, la loi n’a pas  créé d’administration  dépendant du pouvoir politique. La loi a créé des institutions administratives, indépendantes appelées agences. La politique de la régulation est réelle entraînant une profonde évolution qui s’est amorcée depuis les années 80, liée à la logique de la construction européenne.

La doctrine n’est pas unanime sur la question. Le développement technologique a provoqué la multiplication des lois dont les caractères fondamentaux se sont estompés. L’érosion des lois est un fait, comme la mort, contrairement à la  vie de la législature qui n’est qu’un processus de représentation permanente rythmée ou perturbée par des élections locales.

Cet article rappelle la nécessité de l’analyse systémique pour comprendre un phénomène sociétal en partant de l’idée que la Loi est une expression de la culture, voire de la civilisation. « La Loi vient en principe d’en bas, au lieu d’en haut » (Platon).

Par conséquent, la RCA au travers des Lois, a perdu son identité traditionnelle, les Centrafricains sont fascinés par la culture juridique européenne. Si le pays se pérennise dans cette voie, il  risque de disparaître d’ici demain.

Par

Abdias NDOMALE

Enseignant-Chercheur à la Faculté des

Sciences Juridiques et Politiques

Chef de Département de Droit Public

A l’Université de Bangui (RCA)

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