Centrafrique: Birao, capitale à la dérive du Nord « abandonné »

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Bangui, le 27 déc. 17

L’Etat, c’est comme le sable », dit un vieil homme assis à l’entrée du marché, « il s’envole quand le vent fait son entrée ». Et à Birao, l’Etat semble s’être envolé dès l’indépendance, en 1960. Dans cette région isolée du nord de la Centrafrique, les habitants se sentent « abandonnés ».

Ici, pas de préfet, de médecin, d’enseignant, de douanier, de gendarme, de juge… La liste des absents est longue et les vieux bâtiments administratifs – construits sous la colonisation française – sont vides et décrépis.

« L’Etat ne regarde pas la Vakaga, et ça dure depuis 57 ans », date de l’indépendance de cette ancienne colonie française, raconte Moussa Issa, député suppléant de Birao, autour d’un verre de thé.

L’enclavement de la région empêche son développement. Six mois dans l’année, le temps de la saison des pluies, la Vakaga est une île, livrée à elle-même et coupée du monde par les eaux des rivières en crue.

« Les routes sont coupées, on ne peut circuler qu’à dos d’âne, de chameau ou à cheval, ce n’est pas normal! », peste Abdelkarim Moussa, commerçant.

Alors, faute de pouvoir se déplacer hors de la ville – où il y a à peine une vingtaine de voitures -, la population d’environ 14.000 personnes palabre à l’ombre des manguiers en buvant du thé à grand renfort de salamalecs.

L’installation de deux opérateurs téléphoniques a bien suscité de l’espoir, mais l’absence de source d’éléctricité permanente limite leur fonctionnement.

« Je suis pessimiste pour la Vakaga », soupire Oumar Garba, notable qui reçoit chez lui, dans l’une des rares maisons en dur de Birao. La majorité des habitations y sont faites de torchis et de paille.

– Sur le dos du Soudan-

« Nous vivons sur le dos du Soudan, sans la route vers là-bas on ne pourrait pas vivre », ajoute-il, lui-même propriétaire de six camions et grand commerçant de la région.

Située dans une zone grise aux confins des frontières du Tchad et du Soudan, au carrefour d’antiques routes commerciales et au coeur de trafics bien actuels – armes principalement -, la Vakaga s’est tournée vers le Soudan depuis que N’Djamena a officiellement fermé sa frontière centrafricaine, en 2014.

A Birao, sur le marché et dans les rues de sable, on parle arabe autant que sango et français, les langues nationale et officielle centrafricaines. L’accès à Nyala, la grande ville soudanaise située à 300 km, est bien plus simple que la route dangereuse vers Bangui, longue de 1.000 km, où les combats font rage par endroits et où la soldatesque impose partout sa loi.

« Je me sens plus chez moi à Nyala qu’à Bangui. Au Soudan, je peux sortir en ville sans problème. A Bangui on doit rester au PK5 », l’enclave musulmane de la capitale, poursuit le commerçant Moussa.

C’est dans cette poudrière sociale de Birao qu’est né le Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique (FPRC), groupe armé mené par Nourredine Adam. Sur ce terreau de chômage et de frustration, le chef de guerre a recruté à tour de bras, cofondé avec d’autres groupes armés la Séléka en 2012, et lancé sa marche vers Bangui, pour faire entendre ses revendications et renverser le président François Bozizé en 2013.

La prise du pouvoir par la coalition rebelle, marquée par d’innombrables exactions et pillages, a entraîné une profonde crise sécuritaire et humanitaire en Centrafrique.

« Si on avait été traité d’égal à égal avec les autres préfectures du pays, les habitants de la Vakaga n’auraient jamais pris les armes », veut aujourd’hui penser un conseiller municipal.

– ‘Bangui se joue de nous!’ –

Bon gré mal gré, le FPRC a pignon sur rue dans Birao. En vertu d’un accord avec la force de l’ONU, la Minusca, en RCA depuis 2014, ses hommes n’arborent pas d’armes en ville, mais le groupe – ainsi que ses revendications populistes – bénéficie du large soutien de la population locale.

« C’est grâce au FPRC que nous sommes sécurisés. Depuis qu’ils sont là, il n’y a plus ni braconniers ni bandits qui viennent chez nous tuer nos habitants », assure le sultan de la Vakaga, Ahamat Moustapha Am-Gabo. Des braconniers qui au fil des ans ont massacré les grands animaux – en particulier les éléphants – des parcs de la région, laissant la brousse vide d’une faune autrefois abondante.

A d’autres médias, il y a dix ans, le père d’Ahamat, lui aussi sultan, tenait le même discours. Si le nom du groupe armé a changé, les peurs et le sentiment d’abandon sont restés les mêmes.

Tous les habitants rencontrés adhèrent aux positions anti-Bangui et promusulmanes du groupe armé. La ville, ancien haut-lieu d’un sultanat musulman prospère et esclavagiste, n’a vu depuis 1960 que désespoir et pauvreté, selon ses habitants.

Pis, l’armée nationale y a commis des exactions qui reste gravées dans les mémoires, en 2006 notamment. Alors, quand le pouvoir central a voulu réinstaller un préfet en septembre, ancien militaire autrefois déployé dans la Vakaga, les habitants et le FPRC ont refusé net.

« Bangui se joue de nous, ce n’est pas possible! », lâche Moustapha Fadoul, la trentaine, au chômage. Lui ne voit pas de solution à « cette situation caduque ». Seule raison de sourire selon lui: deux ONG, une américaine et une française, qui interviennent dans l’éducation et la santé.

« Elles sont indispensables », dit-il, en ajoutant : « C’est dommage que la Vakaga ne puisse pas s’occuper de ça elle même ».

ANI Avec AFP

 

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