Bangui, le 24 août 2020
Chaque année, la plupart des pays d’Afrique Centrale, anciennes colonies Françaises, célèbrent dans le mois d’août, ce qu’on appelle leur « indépendance ». La République Centrafricaine n’a pas manqué à cet appel, le jeudi 13 août 2020. Bien que placée sous le régime de confinement et de déconfinement imposé par la pandémie du covid-19, un grand et remarquable défilé militaire a marqué cette fois-ci la célébration de cette journée à Bangui la Capitale. Mais au-delà de ces festivités, que dire de l’état général du pays après 60 ans d’indépendance ?
Le terme sonne pas mal : 60 ans d’indépendance. Et qui dit 60 ans pour une âme humaine d’aujourd’hui en Centrafrique, dit celle qui est regorgé d’âges vu que l’espérance de vie dans le pays est de 40 à 45 ans selon le dernier recensement général de la population de 2003. Et généralement en Afrique, 60 ans équivalent à un âge de très grande maturité qui font qu’on considère sans ambiguïté quelqu’un de plein d’expériences et de sagesse, quelqu’un de qui on ne peut nullement douté et qui peut servir d’exemple à copier.
Alors, parler du bilan des 60 ans d’indépendance de la République Centrafricaine, revient nécessairement à procéder à une autopsie sérieuse du passage de tous les présidents qui se sont succédés à la tête du pays de 1960 à ce jour. Il y en a eu 8 tout au plus si l’on peut dire : Barthélémy Boganda, David Dacko (2 fois 1958-1965 et 1979-1981), André Kolingba, Ange-Félix Patassé, François Bozizé Yangouvonda, Michel Djotodja Amnon-Drogo, Ferdinand Alexandre Nguéndé (présidence de 2 semaines), Catherine Samba-Panza et maintenant Faustin-Archange Touadéra. Cette autopsie, pour avoir une substance conséquente, sera faite sous des thématiques spécifiques selon l’évolution socioéconomique et surtout politique du pays jusqu’à ce jour.
La petite histoire
Concernant la République Centrafricaine, le père de l’indépendance reconnu comme tel est feu Barthélémy Boganda à cause de sa lutte suicidaire pour l’indépendance du pays. Malheureusement, la hargne meurtrière française contre un enragé contestataire, comme les Français l’ont toujours pensé, l’a arraché prématurément à la réalisation de ses vœux les plus tendres et sincères pour son peuple et sa nation la République Centrafricaine, nom qu’il a donné au pays qui s’appelait Oubangui-Chari du temps de la colonisation.
La France de Charles Degaulle a refusé l’indépendance à Barthélémy Boganda pour sa clairvoyance et sa vision légendaire des Etats Unis d’Afrique Latine.
Barthélémy Boganda est le père de l’indépendance de la République Centrafricaine pour son combat suicidaire avec la France à propos de cette indépendance. Après que Boganda ait manqué de faire voter la loi sur la constitution des Etats Unis d’Afrique Latine, un projet pharaonique de Boganda que les Français ont sabordé, il était rentré à Bangui pour proclamer la République Centrafricaine le 1er Décembre 1958, alors qu’il était élu en 1957, président du Grand Conseil de l’AEF, parlement fédéral de la sous-région. C’est cette première victoire de Boganda sur De Gaulle qui a dès lors et toujours été célébrée comme fête nationale des Centrafricains et non la fête de l’indépendance. Mais la décision finale française a été autre et c’est au feu David Dacko que les Français ont préféré à Goumba pour gérer le pays après avoir assassiné Boganda qu’est revenu l’honneur de proclamer l’indépendance de la République Centrafricaine le 13 août 1960. Puis s’en est suivi une succession assez fournie de présidents à la tête du pays jusqu’à ce jour.
Les timides et hésitantes périodes de l’indépendance
Ces périodes ont été marquées par la présidence à deux reprises (1958-1965 ; 179-1981) du président David Dacko qui a réellement été le tout premier président de la RCA, Boganda n’étant à l’époque et jusqu’à sa mort, que Député et président du Grand Conseil de l’Afrique Equatoriale Française (AEF).
Ces périodes que l’on peut dire dominée par l’influence française, n’ont rien de particulier à signaler en dehors de l’engourdissement des esprits et la sape du destin originel des Centrafricains dont Boganda en était le géniteur. Le farouche mépris de Boganda dont les Français s’étaient rendus de fervents maîtres et surtout leur satanique volonté de maintenir le pays sous leur totale influence ont fait que les Centrafricains, bien qu’indépendants, ont continué à subir les errements de la colonisation sans que David Dacko ne soit capable d’y opposer une quelconque riposte. Cela a suscité le coup d’Etat de la Saint Sylvestre dont Jean Bedel Bokassa était le principal challenger en janvier 1965.
Euphorie, espoirs des après l’indépendance (1965-1990)
Jeune capitaine de l’armée française rappelé par son cousin (noko) David Dacko pour créer et s’occuper de l’armée centrafricaine dont il fut lui-même fondateur et Chef d’Etat-major, Bokassa s’était basé sur le projet de société de son autre feu cousin Barthélémy Boganda qui se résumait en 5 verbes du Mouvement pour l’Evolution Sociale de l’Afrique Noire (MESAN) dont il a fait un brillant parti et instrument de développement de sa politique. Rappelons que ces 5 verbes qui sont : nourrir, loger, vêtir, instruire, soigner sont des réponses adéquates aux préoccupations vitales du peuple Centrafricain au sortir de la colonisation.
Pour atteindre ces objectifs que sont les 5 verbes du Mesan, Bokassa avait mis un accent particulier sur le développement de l’agriculture et de l’élevage à travers « l’Opération Bokassa » sur le plan économique. Des coopératives agricoles et des groupements d’éleveurs de tout genre avaient été créés avec à l’appui d’importants investissements dans les moyens techniques. A ce niveau, la culture attelée avait été introduite particulièrement dans l’Ouham-péndé et dans l’Ouaka y compris la race de bovins baoulés robustes et efficaces dans les travaux de traction. Des compétitions telles que la distribution gratuite de pagnes aux meilleurs producteurs agricoles et éleveurs avaient été lancées pour stimuler et encourager les paysans. Résultat, la République Centrafricaines s’était illustrée parmi les meilleurs pays producteurs de coton, de café et de bovins d’Afrique.
Sur le plan social, Bokassa avait tout mis en œuvre une politique de gratuité des soins dans toutes les formations sanitaires du pays sous la formule de souscription à la carte d’abonnement sanitaire qui permettait à tout citoyen, non seulement détenteur de ladite carte, de se faire soigner gratuitement aux frais de l’Etat. Les services des grandes endémies étaient présents un peu partout sur le territoire national et intervenaient rapidement et efficacement dans tous cas d’épidémies déclarées. Les vaccinations étaient assurées en permanence aux élèves dans leurs établissements et aux villageois par des équipes mobiles toujours présentes.
Sur le plan de l’éducation, l’enseignement était gratuit pour tous et partout sur le territoire nationale. Les écoles, même les plus éloignées des centres urbains avaient des enseignants qualifiés et des facilités pour assurer et mener à bien leur mission. Il en était de même pour les infrastructures scolaires. Des écoles, des collèges, des lycées avaient été créés un peu partout dans le pays. Bokassa le rénovateur n’a pas manqué de créer des écoles de formation professionnelle. L’Institut National des Métiers de la Santé (INMS) devenu aujourd’hui Faculté des Sciences de la Santé, l’Université Jean Bedel Bokassa, devenue Université de Bangui, l’unique de la Centrafrique jusqu’alors, l’Institut Supérieur de Développement Rural (ISDR) de Boukoko à Mbaïki, le Collège Technique Agricole de Grimari (CTDR aujourd’hui), le Collège Technique d’Elevage (CTE) de Bouar, ainsi que d’importants hôpitaux régionaux, aujourd’hui Centres Hospitaliers Universitaires dans les chefs-lieux des grandes régions. Ces œuvres de Bokassa dont la liste n’est pas exhaustive ont été accompagnées de la volonté manifeste de celui-ci à répondre au vide constitué par l’absence des cadres nationaux. Ainsi des facilités ont été accordées pour des bourses d’études à l’étranger si le domaine n’existait pas au pays.
Sur le plan de la sécurité, étant lui-même militaire de carrière, Bokassa n’a pas manqué de faire de l’armée centrafricaine une armée d’élite. Aux côtés des éléments des Faca formés recrutés par engagement volontaire, Bokassa a créé l’Ecole Militaire des Enfants de Troupe dont bon nombres d’anciens élèves sont aujourd’hui des hauts gradés dans les rangs de nos militaires comme le général de corps d’armée Dolowaye. L’Ecole Nationale de Police, celle de la gendarmerie qui ont fait dans le temps et continuent de faire leurs preuves aujourd’hui ont toutes été créées par Bokassa.
Du côté embellissement de la ville, outre les édifices de la période coloniale, Bokassa a construit des immeubles de haut standing à Bangui à l’exemple de la Couronne, de la maison ronde du ministère des affaires étrangères (da-ti-gougou) pour ne citer que ceux-là sans oublier ses résidences de Béréngo et de Kolongo, la maison de la Télévision Centrafricaine etc… C’était l’heure de gloire et d’espoir pour les Centrafricains qui voyaient en Bokassa le rénovateur et le bâtisseur de la nation.
Après Bokassa, le président André Kolingba a tenté de faire de la Centrafrique un pays modèle. Il a poursuivi la politique agricole de Bokassa dans sa politique de « l’autosuffisance alimentaire » et la fête des moissons instituée comme une sorte de démonstration des capacités productrices des différentes régions du pays en matière d’agriculture et d’élevage. Kolingba a également embelli la ville de Bangui avec quelques immeubles tels que le siège de l’Assemblée nationale. L’élan de croissance économique d’alors était à la satisfaction des Centrafricains qui avaient fondé un très grand espoir en leur pays la Centrafrique.
Malheureusement, un sursaut chaotique va s’installer de 1990 à 2016 où ces quelques bonnes images de la Centrafrique de l’indépendance vont être noircies sur le plan politique.
Les racines du présent et le poids du passé politique de la RCA
Après son indépendance, la RCA qui avait pris un bel envol et qui était même le pays le plus côté d’Afrique Centrale, va connaitre des soubresauts politiques, racines de l’état délétère du pays présentement.
Bokassa bâtisseur, Bokassa destructeur. Les Centrafricains se sont réduits à le reconnaître ainsi. Un contraste que le Centrafricain n’arrive pas à s’expliquer mais peut comprendre tout de même. Politiquement Bokassa est curieusement devenu le destructeur de ce qu’il a bâti sur le plan économique. Bokassa apparaît encore aujourd’hui aux yeux des Centrafricains, du moins ceux qui l’ont connu, comme un homme énigmatique. L’homme a eu un destin tout aussi fulgurant que ténébreux par goût du pouvoir. Ce pouvoir qu’il voulait absolu et pérenne ?
Bokassa a exploité de diverses façons le vaillant peuple Centrafricain dans la volonté d’en profiter pour s’enrichir avec les siens. Pour mieux réussir, il a instauré un régime politique de terreur et d’hypnose. Bokassa était la terreur lui-même. Cette situation était devenu invivable pour les Centrafricains qui, faute de pouvoir mieux faire s’y sont résignés. Mais pas tous, car de vaillants fils du pays comme Banza, Mandaba, Lingoupou, Abrou, Meya et tant d’autres ont, au prix de leur vie, tenté de mettre fin à ce régime dictatorial et meurtrier de Bokassa qui sera, en fin de compte, définitivement enterré avec l’avènement du « aux cailloux), un soulèvement des étudiants et élèves contre ce régime qui a entraîné l’assassinat de plusieurs centaines d’enfants les 18 janvier et 18 mars 1979, provoquant ainsi le départ du monarque Bokassa par le coup d’Etat français « Opération Barracuda » du 21 septembre 1979 et le retour de David Dacko aux affaires pour la seconde fois. Cette sombre période de l’histoire du pays a, malgré l’alternance des présidents, continué de faire son chemin avec Ange Félix Patassé et surtout François Bozizé qui ont amené le pays à son plus pire et critique état jusqu’à ce jour.
Elu démocratiquement en 1993, Ange Félix Patassé avait la volonté de redresser la Centrafrique sur la voie de son émancipation en copiant sur le système Bokassa dont il est lui-même l’élève. Cette volonté l’a amené à revaloriser l’agriculture et l’élevage comme base du développement de la RCA. Mais sa politique entremêlée de sectarisme dû à son entourage constitué essentiellement des gens de son ethnie (Kaba), totalement versé dans la division tribaliste et ethnique, son nationalisme qui l’a amené dans une opposition particulièrement à la France, lui ont semé du sable mouvement sous les pieds. Cette période dite « Patassiste », les Centrafricains l’ont vécu en variable inconnue car suscitant tantôt l’admiration, tantôt l’irritation voire la frustration, mais surtout et toujours l’étonnement.
Le tribalisme a été un champ très fertile sous les régimes Patassé et Bozizé qui en a enfoncé le clou. Ces deux présidents d’un antagonisme sévère et avéré ont successivement engagé la vie de toute la nation dans un processus de tribalisation forcenée, surtout au niveau des individus mus par l’espoir d’un poste de responsabilité dans les grands corps de l’administration ou du gouvernement, faisant du tribalisme la stratégie d’une hégémonie ethnique. C’est ainsi que Martin Ziguélé, Anicet Georges Dologuélé, tous des kaba, avaient été nommés premier ministre et ont contribué à plonger le pays dans une profonde misère, origine de multiples graves crises.
Les errements des régimes Patassé et Bozizé ont eu pour conséquences, des crises militaro-politiques avec les mutineries de 1995-1996, les coups d’Etat manqués de 2001 (Kolingba), de 2002 (Bàzizé), Bozizé qui, finalement, prendra le pouvoir le 30 mars 2003 toujours par coup d’Etat. Ces crises se sont perpétuées et ont jalonné le règne de Bozizé avec des mouvements de rebellions divers dont le summum est la prise du pouvoir par les séléka et la vague d’exactions qui s’en est suivie et dont souffrent encore les Centrafricains à ce jour.
Bozizé, aux yeux de tous les Centrafricains, est le principal agent causal de la crise militaro-politique des séléka car, général d’armée et de surcroît Chef d’Etat, il aurait pu mater cette rébellion de la coalition séléka avant même son éclosion. Mais sa pleine confiance en lui-même et l’état d’abaissement dans lequel il avait plongé les Faca, avaient grandement ouvert la brèche aux séléka constitués et soutenus essentiellement de mercenaires étrangers de prendre le pouvoir le 30 mars 2013 avec tout ce qui s’en est suivi jusqu’alors. Massacre des populations, violes des femmes, des filles voire même des hommes, incendies des maisons, des villages entiers, exactions de tous genres ont réduit les Centrafricains à un état plus pire que l’esclavage. Les principales régions minières du pays ont été partagées entre les chefs de guerre qui s’enrichissent à merveille sur le dos des populations locales et du pays qui peine à se dégager de ce pétrin.
Malgré l’intervention de la communauté internationale et particulièrement des Nations Unies à travers la Munisca, rien n’est vraiment fait qui permette au peuple d’espérer de nouveaux horizons et de meilleurs lendemains comme si la RCA avait commis un péché mortel qui mérite tant ce sort.
Légitime rêve et espoirs du lendemain.
Comme nous venons de le présenter, les anciens régimes à commencer par celui de Patassé avaient bâti toute une architecture de mensonges et supercherie qui ont fait abrutir le pays. Faustin Archange Touadéra en a pris la pleine mesure dès son accession à la magistrature suprême de l’Etat. C’est pour cela qu’il a opté bâtir un édifice politique solide en taillant une puissante pierre dans le roc de l’expérience de sa vécue personnelle des crises centrafricaines, de sa parfaite connaissance de leurs origines et des attentes des Centrafricains qui ne sont autres que la paix, la sécurité, la libre circulation pour vaquer à ses occupations et pouvoir mieux vivre. Un objectif que Touadéra s’est attaché de tout cœur pour son peuple et sa patrie.
Rendre la vie vivable aux Centrafricains si dégoutés de la vie, c’est du moins ainsi que l’on peut résumer le rêve de Touadéra pour ses compatriotes. A l’opposé d’une politique de mensonge et de mystification entretenue par ses prédécesseurs, particulièrement Ange-Félix Patassé et François Bozizé comme « président », Ziguélé, Tiangaye, Doléguélé comme « premier ministre », une politique qui a mené la Centrafrique au point le plus critique de son histoire.
L’avènement de Touadéra au pouvoir, si on peut le dire, est un instant rarement offert dans l’histoire, celui où un peuple sort du passé pour entrer dans l’avenir, où une époque s’achève, où l’âme d’une nation longtemps étouffée retrouve son expression. Une expression matérialisée par plusieurs réalisations dont la liste n’est pas exhaustive telles que le siège de la Banque des Etats de l’Afrique Centrale (BEAC), le domaine administratif, le lycée Miskine en chantier présentement et d’autres chantiers de construction ou de réformes diverses qu’on ne peut tout énumérer ici et qui restent encore à achever. Et pour les achever, Touadéra doit rester. C’est cela la conviction profonde du peuple centrafricain qui, avec Touadéra, est en train de franchir la frontière qui sépare la nuit d’hier et la lumière du lendemain qui pointe déjà à l’horizon et qui inspire de bels espoirs.
Alors, quand la sérénité harmonieuse d’un homme de conscience et de conviction a déjà pénétré les esprits des Centrafricains, pourquoi iraient-ils cherché ailleurs une autre béatitude lors des élections prochaines? A bon entendeur, salut !
@John KADET