CENTRAFRIQUE : TOUT VA TROP VITE !

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Bangui, le 17 sept. 18

La vie nous échappe. La société nous impose des rythmes toujours plus rapides. Et nous n’arrivons plus à suivre.

L’homme  remonte désespérément une pente qui s’éboule. Nous fonçons pour rester à la même place, dans un présent qui fuit sans cesse. Car si nous nous arrêtons une seconde de couvrir-après le travail, nos courriels, nos rendez-vous, nos obligations, notre argent, après le temps qui file nous tombons dans le chômage, la pauvreté, l’oubli, la désocialisation. Voilà le portrait du moderne.

Le temps désormais s’accélère et nous dévore. L’accélération technique, au travail, sur les écrans, dans les transports, la consommation, a mené l’accélération effrénée de notre rythme de vie. Rien n’y résiste. Les métiers changent en quelques années, les machines en quelques mois, aucun emploi n’est assuré. Les traditions et les savoir-faire disparaissent, les couples ne durent pas, les familles se recomposent, le court terme règne, les évènements glissent.

L’impression de ne plus avoir de temps, que tout va trop vite, que notre vie file, l’impression d’être impuissant  à ralentir, nous angoisse et nous stresse. Aujourd’hui, le temps a anéanti l’espace avec l’accélération des transports, la consommation, la communication, je veux dire l’accélération technique.

A l’accélération technique, à celle des rythmes de vie, il faut ajouter une accélération sociale. Aujourd’hui, aucune situation n’est ’assurée, la transmission n’est pas garantie, le précaire  règne. Il est symptomatique de constater que les parents ne croient plus que leurs enfants auront des vies meilleures que les leurs. Ils se contentent d’espérer qu’elles ne seront pas pires.

Il est frappant de constater combien des successions d’évènements du mois précédant, ou de quelques jours auparavant, parfois même de quelques heures, auxquels nous donnions tant d’importance, qui nous semblaient chargés de signification, disparaissent de notre mémoire. Parfois, ils ne semblent même pas laisser de trace.

La connaissance de l’état du monde à midi est déjà dépassée à 16 heures, la durée de vie d’une actualité se réduit jusqu’à tendre vers zéro, les journalistes ont à peine le temps de la décrire et analyser, les gens de la comprendre. Au final, nous avons tous l’impression de vivre dans une instabilité permanente, un présent court où des faits rapportés en début de journée semblent avoir perdu toute leur valeur le soir même, et dont nous ne savons plus quoi penser.

Oui, nous perdons notre emprise théorique sur le monde, la réflexion de fond régresse, nous n’arrivons plus à appréhender le sens et les conséquences de nos actions. Nous n’avons plus le temps de délibérer, de réfléchir, de formuler, de tester et construire des arguments. C’est pourquoi en politique, le parti victorieux n’est plus celui qui présente les meilleurs arguments ou le meilleur programme, mais celui qui sera doté des images les plus frappantes. Car les images vont vite, les arguments lentement. Ainsi, nous assistons au règne de l’opinion rapide, des décisions politiques réactives.

Au règne de l’aléatoire et de la contingence : un seul aspect d’un problème important se voit retenu par les médias, souvent par hasard, ou parce qu’il fait réagir et donne des images, puis il devient peu à peu le sujet unique du débat.

C’est pourquoi j’en arrive à comparer l’accélération sociale à une forme inédite de totalitarisme. Elle affecte toutes les sphères de l’existence, tous les segments de la société, jusqu’à affecter gravement  notre soi et notre réflexion. Personne n’y échappe, il est impossible d’y résister, et cela génère un sentiment d’impuissance.

Si l’Eglise Catholique a été accusée de produire des fidèles enclins à la culpabilité, au moins proposait-elle du réconfort. « Jésus est mort pour porter vos péchés, vous pouvez en être absous par la confession et l’absolution ». Rien de tel n’existe dans la société contemporaine. Nous n’échappons pas à l’accélération.

Christian KAMAYEN

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