Centrafrique : La problématique de la prorogation du mandat du Président Touadera au regard de la Constitution du 30 mars 2016

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Par Dr. Mario Azou-Passonda,

Enseignant-Chercheur à l’Université de Bangui

 La pandémie du Covid-19 qui sévit dans la plupart des pays du monde ne fait pas que des victimes humaines. Il y a un risque concret de déchéances des régimes et gouvernements qui auraient échoué dans la gestion de cette crise, mais et surtout des régimes et gouvernements dans des pays fragiles ou en crise, notamment en Afrique. Ce pourrait être le cas de la RCA qui se trouve être un pays qui peine à sortir de la crise puisqu’à ce jour le désarmement n’est pas encore réalisé dans les territoires sous contrôle des groupes armés issus de la nébuleuse Séléka dissoute en 2014. A cela s’ajoute une crise en devenir entre les partis politiques d’opposition et la mouvance présidentielle à propos de la prorogation des mandats, présidentiel et législatifs, à partir du 30 mars 2021. Pour ce dernier cas qui est l’objet de ce débat, l’on pourrait considérer d’emblée que la Constitution Centrafricaine est aussi pris à dépourvu par le Covid-19 puisque cette constitution n’a nullement prévu les cas de force majeure, pouvant intégrer cette pandémie. Ces derniers temps, des débats s’entremêlent sur la sphère politique centrafricaine autour du report de ces élections, du prolongement des mandats ainsi que d’une volonté notoire de modifier la Constitution.

Les questions qui se posent sont celles de savoir si les élections de décembre doivent être maintenues ou faudrait-il les reporter. En cas de report, faudrait-il écarter les autorités actuellement au pouvoir en laissant l’opposition mener la danse dans une nouvelle période de transition ou faudrait-il proroger les mandats ? En cas de prorogation de mandat, faudrait-il réviser la constitution ou organiser un Gouvernement d’union nationale autour du Chef de l’Etat sortant ? A la lumière, principalement, des dispositions de la Constitution Centrafricaine du 30 mars 2016, nous allons essayer d’apporter des réponses à ces questions.

La possibilité de maintenir les élections de décembre 2020

Outre la situation sécuritaire dans certaines zones de la RCA, deux situations menacent la tenue des élections de décembre 2020 : la situation sanitaire avec la pandémie du Covid-19 et la situation financière de l’Autorité Nationale des Elections (ANE).

Sur le plan sanitaire, la pandémie du Coronavirus est une raison suffisante pour reporter les  élections de décembre. Tous les pays européens susceptibles de fournir les kits électoraux (urnes, bulletins de votes, encres indélébiles, etc.) ont pris des mesures de quarantaines. La plupart des usines de production en fonction dans ces pays se sont transformées en usines de production des kits de luttes contre le Covid-19 qui sévit tristement dans leurs pays. Même si certains pays doivent déroger à ces mesures pour fournir du matériel électoral à la RCA, il y aura tout de même un risque réel de propagation du Covid-19 pendant ces élections. La manipulation des bulletins de votes, depuis la production à l’étranger jusqu’à leur distribution dans les bureaux de vote, en passant par le transport, sont autant de risques de propagation. Les campagnes électorales et le vote dans les bureaux de vote entrainent toujours des attroupements. La manipulation des bulletins de vote, des isoloirs, des ancres indélébiles, tant par les membres des bureaux de votes que par les électeurs, sont aussi des facteurs de propagation du Covid-19.

La Constitution vise à protéger l’intégrité physique du citoyen ; et donc d’épargner les citoyens de toute atteinte à sa vie. A titre d’exemple, l’article 21 dispose : « La défense de la Patrie est un devoir pour tout citoyen ». L’on pourrait comprendre que ce devoir implique pour le citoyen de recourir à tous les moyens pour défendre la Patrie, y compris le recours aux armes comme le ferait un Américain qui se trouverait dans les mêmes conditions. Recourir aux armes pour défendre la patrie pourrait se solder par la mort des citoyens. Ce qui signifierait que la Constitution oblige les citoyens à faire un sacrifice ultime (la mort) pour sa préservation contre toute atteinte. Loin de là ! En réalité, la Constitution écarte purement et simplement ce type de scénario. C’est pourquoi, l’article 29 alinéa 2 dispose qu’en cas de coup d’état « tout citoyen ou groupe de citoyens a le droit et le devoir de s’organiser d’une manière pacifique, pour faire échec à l’autorité illégitime ». Ces dispositions, préconisant le caractère pacifique des manifestations, visent à épargner les citoyens centrafricains de toute éventualité d’effusion de sang.

Par conséquent, demander aux Centrafricains de se rendre dans les bureaux de vote, alors que le Covid-19 est en train de ployer des nations à travers le monde sous le poids de la mort, est tout simplement anticonstitutionnel et irresponsable. C’est le maintien des festivités aux Etats-Unis qui a contribué dans la propagation du Covid-19, faisant des Etats-Unis le pays le plus meurtri dû à cette pandémie. Alors que les Etats-Unis disposent des structures de santé performantes, avec des usines converties dans la production des kits de luttes contre le Covid-19. Cependant, la RCA se trouve être l’un des pays les plus pauvres du monde avec des structures sanitaires déplorables. Aucune usine pouvant se lancer dans la production des masques, de la chloroquine, etc.

Sur le plan financier, l’Autorité Nationale des Elections (ANE) a besoin du soutien financier des partenaires étrangers pour lancer les échéances électorales. Les pays qui sont censés apportés leur aide dans ce sens sont en train de faire face aux effets du Covid-19 (adoption des mesures spécifiques de confinement, aides aux entreprises, aides aux personnes ayant perdus leurs emplois, etc.). Loin de se plonger dans le syndrome du pessimisme, il est toutefois possible que certains partenaires, surpassant leurs efforts de lutte contre le Covid-19, viennent en aide à la RCA pour l’organisation de ces élections. Il est aussi possible que des hommes politiques centrafricains puissent mettre la main à la poche pour soutenir l’ANE dans ce processus. Si M. Crepin Mbolingoumba et M. Charles Armel Doubane n’ont pas hésité à débourser de l’argent pour appuyer le Gouvernement dans la lutte contre le Coronavirus (sans oublier l’action de Mme Catherine Samba Panza dans le 7e arrondissement), cela signifie à suffisance que tous les hommes politiques centrafricains ne sont pas que des beaux parleurs véreux assoiffés de pouvoir ; mais des politiciens responsables capables de privilégier l’intérêt des populations ou de s’unir pour cette bonne cause.

Cette raison financière pourrait être à l’origine du retard dans les activités de l’ANE. Selon l’ANE, seulement deux préfectures du nord de la RCA n’ont pas été cartographiées pour des raisons de sécurité et que des efforts considérables sont consentis sur le plan financier de la part du Gouvernement et de certains partenaires étrangers. En cela, l’ANE s’est déclarée prête pour organiser les élections à la date prévue tout en nuançant que tous les partenaires seront avisés le moment venu si le calendrier ne devrait pas être tenu.

Par ailleurs, afin d’éviter des attroupements le jour des élections, le vote par correspondance électronique et téléphonique aurait pu être envisagé. Ce système est en vogue dans les pays développés, y compris aux Etats-Unis (lors de la primaire démocrate de l’Alaska du samedi 11 avril 2020). En 2010, Des étudiants Centrafricains au Sénégal avaient déjà expérimenté ce système lors des préparatifs des élections pour le renouvellement de leur association appelée Union des Etudiants Centrafricains au Sénégal (UECAS). Le système a été mise en place par des étudiants spécialisés en informatique qui, aujourd’hui, sont intégrés dans des administrations publiques et privées de la RCA. Ce système peut aussi bien fonctionner en RCA. Les bases de données des opérateurs téléphoniques, caractérisées par une identification systématique de leurs abonnées, constitue déjà une avancée notable dans ce sens.

Toutefois, le problème lié au Covid-19 peut être atténué si des kits de lavage des mains et de l’eau doivent être disposés à l’entrée de chaque bureau de vote, ainsi que des masques distribués à la population pendant les campagnes électorales et le jour du vote. Une sensibilisation préalable doit être organisée pour informer les électeurs sur les conduites à tenir pendant les campagnes électorales et le jour du vote (en ce qui concerne les attroupements, la distance sociale, l’obligation de porter les masques, etc.). Un problème atténué n’est pas un problème résolu.

Dans l’état actuel des préparatifs électoraux et de l’inobservation des mesures de confinement pendant les campagnes électorales et le jour du vote, il faudrait s’attendre à une propagation certaine du Covid-19 au sein de la population. Mais, au cas où le calendrier électoral ne pourra être tenu, du fait du glissement du calendrier électoral dû à l’impossibilité d’organiser les élections dans le délai prévu, une crise politique naîtrait autour de la situation du président sortant.

La théorie de la suppléance de la Présidence est inopérante

L’article 47 de la Constitution a été évoqué par beaucoup de juristes et hommes politiques Centrafricains comme devant guider la marche de la RCA au lendemain du 30 mars 2021. Ces derniers évoquent la suppléance du Chef de l’Etat par le Président de l’Assemblée Nationale en vertu dudit article. Cet article dispose : « La vacance de la Présidence de la République n’est ouverte que par le décès, la démission, la destitution, la condamnation du Président ou par son empêchement définitif d’exercer ses fonctions conformément aux devoirs de sa charge ». Hors mis le cas du décès, les autres cas méritent quelques réflexion à cause du mutisme de la Constitution sur la définition et l’étendue de ces termes.

Primo, le lexique des termes juridiques considère la démission comme un acte par lequel un individu renonce à une fonction ou à un mandat. Il s’agit d’une renonciation ou encore d’une fuite devant les difficultés. C’est se démettre soi-même d’une fonction ou d’un emploi. En droit du travail la démission est le fait pour un salarié de prendre l’initiative de rompre le rapport juridique de dépendance qui le lie à son employeur, en observant un préavis. La démission peut être verbale, écrite ou résulter d’un comportement sans ambiguïté de l’intéressé. Bien que la démission soit un acte volontaire d’une personne qui se démet de sa fonction, elle peut, cependant être provoquée indépendamment de la volonté du démissionnaire. C’est le cas où une personne pourrait être forcée à la démission. Dans le cadre de la fonction suprême, beaucoup de dirigeants en ont abdiqué au cours de leur mandat. Ainsi, des précédents en la matière existent à travers le monde où des présidents ont abdiqué :

–   soit par la ruse (en prévention d’une probable destitution), tel le cas de Richard Nixon en 1974 qui a préféré démission en plein procès du Watergate ;

–   soit volontairement, tel le cas de l’Algérien Liamine Zéroual en 1998 qui a considéré comme inadmissible une réconciliation nationale imposée devant aboutir à l’amnistie au profit des militaires qu’il qualifie de criminels. Au Sénégal, Léopold Sédar Senghor a évoqué son âge avancé (74 ans) pour refuser une proposition de loi lui assurant la « présidence à vie ». Ce faisant, il a fait montre d’une volonté inestimable d’amorcer une alternance démocratique au Sénégal ;

–   soit sur la pression (de la rue), à l’exemple de Blaise Compaoré au pays des hommes intègres (Burkina Faso) en 2014, ou du cas d’Omar El Béchir au Soudan en 2019, cas le plus récent. La pression peut aussi venir des militaires à l’exemple du cas d’Amadou Toumani Touré du Mali en 2012. En outre, la pression peut venir du parti, tel le cas en Afrique du Sud avec le parti-Etat Congrès national africain (ANC) qui est à l’origine de la démission forcée de Thabo Mbeki en 2008. Par ailleurs, la pression pourrait aussi venir des puissances étrangères (Etats et multinationales), tel dans le cas du départ de Michel Djotodja de la RCA en 2014. A ce moment-là, la pression de la rue s’est montrée inefficace. Au Sierra Léone et à Haïti, la pression de la Communauté internationale (surtout américaine) a contraint Charles Taylor (en 2003) et Bertrand Aristide (en 2004) à la démission et à l’exil.

Dans le cas d’espèce, il est improbable de voir l’actuel Président Centrafricain se retirer de sa propre initiative du fait que la Constitution lui garantit la possibilité de briguer un second mandat et qu’il dispose d’une popularité non négligeable, malgré l’insécurité dans certaines zones sous contrôle des groupes armés. Pour qu’il y ait abdication de la part du Président Faustin Archange Touadera, il faudrait une certaine pression. Une pression de la part de la rue est celle qui est démocratique. Cette probabilité est à exclure du fait de la popularité que le président ne cesse d’accumuler du fait de ses réalisations qui vont croissantes et appréciables par une bonne partie des Centrafricains. Aussi, une pression de la part de son parti politique, le Mouvement Cœurs Unis (MCU) est improbable. Il dispose encore de la majorité à l’Assemblée Nationale et d’un soutien sans faille de toutes les formations politiques affiliées au MCU. En sus, une pression de la part des militaires est assimilable à un coup d’Etat ; ce qui devrait être improbable du fait que le soutien des Etats-Unis en particulier, et de la Communauté internationale en général, à la RCA, vise entre autre, à faire de l’Armée Centrafricaine une armée républicaine, professionnelle et apolitique. C’est ainsi que les membres du G5, comprenant entre autres, les Etats-Unis, la Russie, la France, l’Union Africaine) ont, dans un communiqué, condamné « fermement toute tentative de déstabilisation des institutions de la République et incitation publique à la violence », suite à l’ingérence d’une partie des officiers de l’armée dans un débat politique à l’Assemblée Nationale relatif à la révision constitutionnelle.

Par conséquent, acquiescer un coup d’Etat, même à la fin du mandat du président faute de consensus national, sera désapprouvé par une bonne partie de la Communauté internationale, y compris les Etats-Unis. Sous un autre ongle, le Kremlin et Pékin y verrait une manœuvre de la France, avec la bénédiction des Etats-Unis, visant à punir le président Centrafricain du fait de la présence croissante de la Chine et de la Russie en RCA. Donc, un soulèvement de la part de l’armée devrait replonger encore d’avantage la RCA dans un embargo d’une longue durée, pouvant entrainer la somalisation de la RCA. Une pression visant la démission du Chef de l’Etat de la part de certaines puissances étrangères reste possible du fait, en effet, de la présence chinoise renforcée et de celle de la Russie. Dans ce cas précis, Stéphane Hessel disait, à propos des menaces que représentent les puissances étrangères pour les gouvernements fragiles, que les « responsables politiques, économiques, intellectuels et l’ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l’actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie » (Indignez-vous !, Montpellier, Indigène éditions, 2010). En effet, le débat actuel sur la scène politique centrafricaine ne porte pas sur une probable démission du président qui, au regard de la constitution, peut encore briguer un second mandat.

Secundo, l’article 47 évoque la destitution suivit de la condamnation du Président. Le Lexique des termes juridiques considère la destitution comme une sanction disciplinaire, impliquant une poursuite disciplinaire. La poursuite disciplinaire en droit administratif est une action exercée contre un individu en fonction en cas de manquement aux règles de la déontologie. Cette révocation peut être disciplinaire ou pénale, d’où la question de la condamnation. C’est la Constitution américaine (1787) qui a posé le principe de la destitution du président à travers la procédure dite d’« impeachment » (signifiant « mise en accusation » ou « procédure de destitution ». Issue du droit anglo-saxon pour le cas des hauts fonctionnaires, cette procédure a été rendu célèbre par son application aux hauts fonctionnaires aux États-Unis, étendue au Président, à l’exemple de Bill Clinton (en 1998) et de Donald Trump plus récemment (en 2019). Même si ces deux présidents ont été sauvés par la majorité au Congrès, le but de la procédure d’impeachment est d’aboutir à l’engagement de la responsabilité du Président en vue de sa destitution. En RCA, c’est le titre VIII de la Constitution centrafricaine qui est consacré à la Haute Cour de Justice devant engager la procédure de destitution des hauts fonctionnaires centrafricains, y compris du Chef de l’Etat. Le Chef de l’Etat en fonction ne peut être poursuivi que pour le crime de haute trahison dont les différentes facettes sont énumérées par l’article 124. L’impossibilité d’organiser les élections dans le délai imparti ne fait pas partie de cette liste énuméré par l’alinéa 2 de l’article 124. Par conséquent, la procédure de destitution qui devrait aboutir à la condamnation du Chef de l’Etat ne peut être appliquée ici.

Tertio, l’empêchement provisoire est déterminé par les dispositions de l’article 48 et pourrait concerner une maladie grave (cas de Boris Johnson atteint de Coronavirus en Grande Bretagne), l’absence ou la disparition, etc. Ce cas provisoire n’ouvre droit qu’à l’intérim assuré par le Premier Ministre (Cf. l’article 48 de la Constitution Centrafricaine). L’empêchement définitif pourrait être assimilable à la destitution dans ses effets. Mais en réalité, l’empêchement définitif se distingue de la procédure de destitution qui implique la condamnation du Président pour trahison, sus évoquée. L’empêchement définitif s’applique au cas de la démence, du coma, d’une déchéance physique dont la gravité serait irréversible, etc. Ce cas trouve son origine dans le XXVème amendement à la Constitution américaine de 1789. Le 25e amendement a été adopté en 1965 et ratifié en 1967. La section 4 de ce 25e amendement prévoit explicitement la possibilité d’écarter le Président des Etats-Unis de ses responsabilités s’il se trouve « dans l’incapacité d’exercer les pouvoirs et les responsabilités de sa fonction ». Selon Frantz Durupt, cette formulation non claire fait référence au « cas où le président se retrouverait dans l’incapacité intellectuelle de poursuivre sa tâche, par exemple s’il tombait dans le coma » (Comment fonctionne le 25e amendement, qui permet d’écarter le président américain ? Liberation.fr, 6 septembre 2018). Cette procédure vise à transférer au Vice-président des Etats-Unis les pouvoirs du président physiquement ou mentalement inapte à gouverner.

Dans le cas centrafricain, il ne s’agit nullement de l’inaptitude physique ou mentale du Président Touadera à gouverner ; mais de l’impossibilité d’organiser les élections dans le délai prévu. Eu égard à tout ce qui précède, il est clair que l’article 47 ne peut être invoqué pour suppléer le Président Touadera, en l’écartant de la présidence au lendemain du 30 mars 2021. D’ores et déjà, les parlementaires ont pris l’initiative de la révision de la constitution afin de constitutionnaliser toute possibilité du glissement du calendrier électoral ; une procédure désapprouvée par l’ensemble des partis politiques de l’opposition.

L’impossibilité non absolue de modifier la Constitution

La sphère politique centrafricaine connait également ces derniers temps des débats autour de la modification de la Constitution au cas où les élections devraient être reportées. Certains partis politiques avaient même appelé au report de ces élections. A la mi-avril, conformément à l’article 151 de la Constitution, l’Assemblée Nationale a accueilli une initiative de révision de la part des élus de la nation. Ce qui a suscité une réaction vive de la part de l’opposition politique et d’une partie des officiers de l’armée (alors que l’armée devrait rester neutre, ne pas se mêler de la politique comme c’est le cas dans des pays démocratiques du monde, dits nations civilisées).

Juridiquement, les constitutions sont conçues pour durer. Mais, comme c’est une œuvre humaine, elles sont appelées à subir l’usure du temps ; d’où la nécessité de procéder à leur modification afin de les adapter aux réalités politiques du moment. Si la Constitution n’est pas révisée pour tenir compte de ces changements, la pratique sociale ou une coutume contra legem rendrait les dispositions y relatives caduques. En RCA, il ne s’agit pas de l’effet d’une certaine usure du temps, mais d’un certain amateurisme présidant à la rédaction de cette constitution ; une constitution bâclée, car parée d’incohérences. A titre d’exemple, cette constitution n’a aucunement prévu des cas de force majeure pouvant impacter la tenue des élections et les conduites à tenir dans de pareilles situations. C’est justement ce type de lacunes qui suscitent en ce moment des débats liés à l’impossibilité d’organiser les élections à la date prévue et à la possibilité ou non de réviser cette Constitution en vue de proroger les mandats présidentiel et législatif.

En parcourant les constitutions de la plupart des nations civilisées, l’on s’aperçoit que ces constitutions prévoient des cas de force majeur. A titre d’exemple, l’article 7 de la Constitution française de 1958, sur le modèle duquel la Constitution centrafricaine est calquée, prévoit les cas de force majeure pouvant empêcher la tenue des élections dans le délai prévu. L’alinéa 10 de l’article 7 de la Constitution française dispose : « Le Conseil constitutionnel peut proroger les délais prévus aux troisième et cinquième alinéas sans que le scrutin puisse avoir lieu plus de trente-cinq jours après la date de la décision du Conseil constitutionnel. Si l’application des dispositions du présent alinéa a eu pour effet de reporter l’élection à une date postérieure à l’expiration des pouvoirs du Président en exercice, celui-ci demeure en fonction jusqu’à la proclamation de son successeur ». Or, la Constitution centrafricaine n’a pas tenu compte de pareilles circonstances, alors que les rédacteurs de cette Constitution ont tout simplement réalisé le copier-coller de la Constitution française en y intégrant une bonne dose des articles de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 dans le Préambule et dans les article 1 à 20). Les rédacteurs de la Constitution centrafricaine ont expressément ignoré que la RCA, à elle seule, est incapable de financer ses activités régaliennes (le financement des élections relève majoritairement des partenaires internationaux, les fonctionnaires sont payés par la Communauté internationale, la situation sanitaire est étroitement liée à la présence des organismes internationaux, l’armée est appuyée par la MINUSCA, etc.). Comment ne pas prévoir les cas de force majeure ou une impossibilité indépendamment de la volonté des autorités en exercice sous le contrôle de la Cour Constitutionnelle dans le cas d’espèce ?

Techniquement, la révision de la Constitution ne peut se faire que par le pouvoir constituant dérivé ou institué selon les modalités prévues par la Constitution elle-même. Ce pouvoir constituant est dit dérivé car prévu par la Constitution elle-même. La Constitution fixe, sous la forme d’une clause de révision, la procédure et les conditions de modification de ladite Constitution. La Constitution centrafricaine n’est pas une constitution souple permettant à l’assemblée nationale de procéder à sa modification comme pour une loi ordinaire. La Constitution Centrafricaine est une constitution rigide impliquant une procédure difficile. Cette Constitution enferme l’exécution du pouvoir de révision dans des limites liées à sa procédure (forme de la révision) et aux dispositions devant être révisée (fond de la révision). Ces limites sont formelles et matérielles. Les limites formelles touchent à la procédure prévue pour réviser la Constitution. Ce sont les conditions de forme auquel le pouvoir constituant originaire (le rédacteur) a soumis la révision de la constitution. Il s’agit par exemple de la procédure fixée ou des circonstances de la révision constitutionnelle.

Dans le cas centrafricain, l’article 151 de la Constitution de 2016 dispose que l’initiative de la révision appartient concurremment au Président de la République et au Parlement statuant à la majorité de 2/3. C’est dire que le Président de la République peut déposer un projet de révision sur le bureau de l’Assemblée Nationale qui, de son côté, peut aussi, à la demande des 2/3 de ses membres,  présenter une proposition de révision à la connaissance du Gouvernement. Présentement, ce sont les parlementaires qui viennent de lancer l’initiative. Donc leur démarche, en ce qui concerne la procédure, est conforme à la Constitution. Sur le fond, l’alinéa 1 de l’article 152 dispose que le texte révisé ne peut être adoptée que par la majorité des 3/4 des membres du Parlement. Donc, si la majorité des ¾ des membres du Parlement n’est pas atteinte pour l’adoption du texte révisé, ce texte révisé est rejeté d’office. En l’absence du Sénat qui n’est pas encore opérationnel, l’Assemblé Nationale peut jouer ce rôle à elle seule. En outre, l’article 152, alinéa 2 apporte une autre limite formelle à la révision de la Constitution Centrafricaine. Les dispositions de ce article interdit formellement de procéder à la révision de la Constitution en cas de vacance de la Présidence de la République ou lorsque l’unité et l’intégrité du territoire sont atteintes. De l’état actuel de la situation sécuritaire, il est impossible de procéder à la révision de la Constitution ; étant donné que plus de la moitié du territoire est occupé par des groupes rebelles, comprenant des mercenaires étrangers. Mais, le fait que cette Constitution ait été élaborée dans ces mêmes conditions fragilise frontalement les effets de cet alinéa du fait de la persistance desdites atteintes. Ceci traduit aussi le fait que certaines préfectures (Vakaga et Bamingui-Bangoran) devraient être exclues des opérations électorales pour raison d’insécurité, selon l’ANE ; et c’est compréhensible.

Les limites matérielles sont liées au contenu même de la Constitution. Il s’agit de l’interdiction de réviser certains points de la constitution. L’article 153 de la Constitution de 2016 interdit la révision de la forme républicaine et laïque de l’Etat Centrafricain, du nombre et de la durée des mandats présidentiels, des conditions d’éligibilité, des incompatibilités aux fonctions de Président de la République, des droits fondamentaux du citoyen, des dispositions de l’article 153 énonçant toutes ces limitations. Concrètement, les mandats présidentiels ne peuvent être modifiés. A cela s’ajoute l’article 35 qui limite le Chef de l’Etat à deux mandats consécutifs tout en interdisant formellement de proroger ce mandat. C’est dire clairement que tous les présidents qui doivent se succéder en RCA sont piégés par ces deux dispositions. Cependant, une autre interprétation (ouverte) peut aussi se dégager de ces dispositions de l’article 35, qui comprend trois alinéas répartis en quatre phrases graduellement composés, ainsi qu’il suit. Les conditions formelles déterminent que le Président de la République « est élu au suffrage universel direct et au scrutin secret, majoritaire à deux(2) tours » (alinéa 1). Elu dans ces conditions, le Président de la République dispose d’un mandat d’une durée de cinq ans qui peut être renouvelé « une seule fois » (alinéa 2). Une fois son mandat renouvelé, le Président de la République « ne peut exercer plus de deux (2) mandats ou le (ce second mandat) proroger quel que soient les conditions (alinéa 3). Donc, seule le second mandat serait insusceptible de prorogation afin d’éviter qu’un président ne s’éternise au pouvoir.

Pourtant, une telle interprétation est rendue inopérante par les dispositions de l’article 153 qui interdit la révision, entre autres, du « nombre et de la durée des mandats présidentiels ». Le terme « mandats présidentiels » est-il employé comme un terme générique qui concerne tous les mandats généralement effectués par tous les présidents en général ? Ou bien ce terme est-il employé comme un terme ad hoc spécifique au cas de chaque président en exercice ? Dans le cadre d’une interprétation ouverte, l’on pencherait beaucoup plus pour le premier cas, puisque ce ne sont pas tous les présidents qui pourraient avoir la chance d’effectuer deux mandats. Chacune des deux interprétations est acceptable suivant les variations des bornes politiques et des intérêts en jeu. Rappelons toutefois que seule la Cour Constitutionnelle est l’autorité habilitée par le peuple souverain à donner une interprétation officielle des dispositions de la Constitution. Ces principes de non modification sont intangibles ; ce qui pourrait faire comprendre que le pouvoir constituant dérivé ne serait souverain que dans ces limites prédéterminées (formelles et matérielles). Or, au même titre que le pouvoir constituant originaire, le pouvoir constituant dérivé est pleinement souverain du fait que ces limites ne sont que purement morales et il peut s’en affranchir lorsqu’il y va de l’intérêt impérieux de la nation.

Lato sensu, il y a la révision mineure, la révision majeure (ou principale) et la révision abrogative. La révision mineure est celle qui corrige des imperfections mineures constatées par la pratique. La révision  majeure ou principale est celle qui apporte un changement important.  La révision abrogative est celle qui porte sur un très grand nombre d’articles de la constitution, et surtout sur les dispositions fondamentales dans le fonctionnement du régime. Cette révision tend à abroger le texte de la constitution. C’est le cas de la révision substantielle de 1958 qui a abrogé la Constitution de la 4ème République Française pour donner naissance à la Constitution de la 5ème République, le 4 octobre 1958 encore en vigueur aujourd’hui.

Ceci signifie que la mutabilité de la Constitution est un droit dans une démocratie. Ainsi donc, la nation a le droit imprescriptible de changer sa constitution. C’est ainsi que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 affirme qu’une « génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures ». Par conséquent, le pouvoir constituant (originaire ou dérivé) reste souverain, car le peuple est souverain. Aussi, dans sa Décision du 2 septembre 1992 sur le traité de Maastricht, le Conseil Constitutionnel français a estimé, tout en tenant compte des articles réservés, que « le pouvoir constituant est souverain ; qu’il lui est loisible d’abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu’il estime appropriée ; qu’ainsi rien ne s’oppose à ce qu’il introduise dans le texte de la Constitution des dispositions nouvelles qui, dans le cas qu’elles visent, dérogent à une règle ou à un principe de valeur constitutionnelle ; que cette dérogation peut être aussi bien expresse qu’implicite ». En clair, l’Assemblée Nationale peut compléter les dispositions constitutionnelles en y incluant des dispositions relatives au cas de force majeure qui font défaut dans cette Constitution. Mais, les mandats présidentiels ne pourront être prorogés si les articles réservés ne sont pas révisés ; sauf à adopter une interprétation ouverte des articles 35 et 153 comme sus démontrée.

Mais, si les articles 35 et 153 doivent être interprétés d’une manière fermée, il faudrait procéder radicalement à leur modification avant d’inclure des dispositions relatives au cas de force majeure. Pour en avoir le cœur net, il serait mieux de demander un avis consultatif sur l’interprétation desdits articles à la Cour Constitutionnelle avant d’engager la révision. Du moment où l’Assemblée Nationale est régulièrement composée des élus du peuple, une révision abrogative est aussi possible ; cas de force majeure oblige ! Mais, même si la Constitution est dépourvue des dispositions qui obligent le pouvoir constituant dérivé à recourir au référendum aux fins d’adoption du texte révisé, la modification des articles substantiels, dans le cadre d’une révision abrogative, doit nécessairement recueillir l’approbation du peuple souverain. Si le texte révisé est soumis au référendum, la Cour Constitutionnelle ne pourra pas le censurer. Mais, de l’état actuel de la constitution, toute prorogation nécessiterait un consensus national.

 

La possibilité discutable de proroger les mandats du fait du glissement du calendrier électoral

La constitution de 2016 ne prévoit ni les périodes de transition en cas de non organisation des élections à la date prévue, ni le glissement du calendrier électoral. Aussi, elle ne prévoit ni la démission du Chef de l’Etat ou sa destitution si le calendrier électoral n’est pas respecté, ni la prorogation des mandats. Mais, une chose est sûre : cette Constitution a été établie pour mettre un terme une période de transition (celle de l’après 24 mars 2013). Ce fut aussi le cas pour la Constitution de 2005 qui a mis un terme à la période de transition de l’après 15 mars 2003. Lancer une nouvelle période de transition, pour raison d’impossibilité notoire d’organisation des élections dans le délai prévu, reviendrait à écarter purement et simplement l’actuelle Constitution ; donc l’élaboration d’une nouvelle constitution à la fin de la nouvelle transition. Ceci est assimilable à un coup d’Etat en pleins préparatifs des campagnes électorales.

En parlant de période de transition, le Triumvirat du Général Ludovic Ngaifeï est une bonne initiative de développement caractérisé par un repli national sur soi. De bonnes idées sont là, mais mal envisagée. Cependant, il y a des absurdités qu’il faudrait bien relever, au nom de la liberté de penser et d’expression, puisque la RCA jouit encore du statut d’un Etat démocratique. Ce triumvirat préconise un Pouvoir exécutif composé, en clair, d’anciens chefs d’Etat et anciens Premiers ministres avec l’assistance d’un « Conseil militaire », c’est-à-dire sous le contrôle des militaires à qui reviendront obligatoirement deux postes ministériels clés (Défense et Sécurité Publique). Ce triumvirat préconise aussi un Pouvoir législatif composé des personnalités qui étaient députés pendant les 10 années de règne du président Patassé et pendant les 5 premières années de règne du président Bozizé, avec des « représentants crédibles de la Société Civile ». Et un pouvoir judiciaire composé d’anciens magistrats et professeurs d’université. La jeunesse, une fois de plus, est jetée aux oubliettes.

Absolument aucune place n’a été faite pour les jeunes si ce n’est la référence à la mise en place d’un « Ministère chargée de la jeunesse, du Sport, de la vie Associative, de l’Insertion des Jeunes, du Tourisme et des Arts et Cultures ». Donc, il s’agit d’un triumvirat de transition réservé uniquement aux dinosaures de la politique centrafricaine, pas de place pour les jeunes. Le Triumvirat préconise également de « Procéder à la relecture de la Constitution pour l’adapter aux contextes actuels ». En d’autres termes, ce triumvirat aura à procéder à la révision abrogative de la Constitution du 30 mars 2016, exactement comme les députés cherchent à le faire en ce moment ; ce qui est à l’origine des débats sur la scène politique en ce moment. Aussi, l’unique fait de contraindre le président en exercice à abdiquer le pouvoir met déjà un terme à cette Constitution, donc un coup d’état de facto.

C’est aussi un Triumvirat va-t-en-guerre, car visant à « désarmer et purifier le pays des bandes armés ». L’Accord de Khartoum qui, aux yeux de beaucoup de Centrafricains et de la Communauté internationale qui l’a appuyé, est l’unique moyen de désarmer et purifier le pays des bandes armés (c’est-à-dire parvenir à la paix) est aussi ignorée complètement ; ce qui s’apparente à l’élaboration d’un désir de vengeance. Or, le respect de l’Accord de Khartoum nécessite l’implication effective des garants dudit accord ainsi que du G5. Des sanctions, y compris des arrestations, doivent être appliquées en cas de violation des droits de l’homme, notamment l’attaque des populations civiles. Qu’à cela ne tienne, une transition sous le contrôle de l’armée est la dernière chose dont ce pays a besoin. Ce triumvirat de transition préconise également une cité dans laquelle « il n’y aura ni majorité ni opposition » ? Donc, à dieu la démocratie ! Puisque le clivage majorité/opposition fait partie intégrante des caractéristiques de la démocratie.

En effet, le peuple Centrafricain a encore en mémoire son abandon par l’armée à la merci des hordes de la Séléka en 2013 et les effets continuent encore dans l’arrière-pays (Alindao, Birao, Ndélé, etc.). Sous d’autres cieux, il y a l’exemple du Tchad qui a récemment donné un bel exemple de l’armée digne de ce nom. Les militaires tchadiens ont subi une lourde perte de près d’une centaine d’homme au combat face au Boko-Haram. Ils n’ont pas abandonné. Au contraire, ils étaient rejoints par le Président Idriss Déby, en bon militaire, qui a choisi d’abandonner le palais présidentiel pour diriger ses soldats sur le terrain afin de mieux combattre et défendre le territoire tchadien des terroristes. Finalement, Boko-Haram a été défait, le territoire tchadien et les territoires voisins ont été libérés. Mais en RCA, c’est la poudre d’escampette qui reste préconisée, laissant le peuple à son triste sort.

Il y a une vérité qui fait mal à tous les Centrafricains : depuis la déroute de l’armée centrafricaine couronnée par la fuite du Général-Président, l’armée centrafricaine n’est pas encore prête pour engager des combats de longue durée contre les groupes armés, sans l’apport de la MINUSCA. Les groupes armés sont mieux équipés que l’armée centrafricaine ; le Général Ludovic Ngaifeï en a fait référence dans la présentation de son Triumvirat. Si la guerre doit être déclenchée, il faudrait du ravitaillement régulier pendant plusieurs mois ou plusieurs années de combats (ravitaillement en hommes, en carburant, en armes, en munitions, en vivres, etc.). C’est pour ça que Raymond Aaron pouvait dire que c’est facile de commencer une guerre, mais difficile de la terminer. Les victimes de la guerre du Triumvirat ne seront pas que les groupes armés sous-estimés, mais aussi les militaires centrafricains, les civiles et les biens. Finalement, là où s’arrêtera l’armée centrafricaine dans une aventure guerrière, c’est là où commenceront les frontières d’une nouvelle Centrafrique (comme ce fut le cas au Soudan), avec des tentatives de réconciliations sans succès.

J’étais à Obo en novembre 2019, dans le cadre d’une mission, où les militaires ne disposaient d’aucun véhicule de transport pour les patrouilles dans la ville d’Obo ; même leur Prime générale d’alimentation (P.G.A.), qu’ils sont censés percevoir quotidiennement, ne leur était pas versé pendant près de six mois, donc détournés. A Bria en décembre 2019, les militaires de l’armée centrafricaine étaient interdits de circulation dans la ville par les rebelles du FPRC. Ces militaires n’ont pu participer au défilé du 1er décembre sur exigences des rebelles, et il leur était particulièrement difficile de se rendre au marché. Plus grave encore, il n’y avait aucun médecin dans leur rang. L’ironie du sort, deux d’entre eux souffraient d’hémorroïde ; mais ils ne pouvaient pas l’emmener à l’hôpital préfectoral du fait de l’interdiction fait par le FPRC. Leur haut commandement a demandé une hospitalisation sur la base de la MINUSCA qui a opposé une fin de non-recevoir, pour la simple raison que la RCA et la MINUSCA sont deux entités distinctes et indépendantes. Mais, par souci d’humanisme, le Commandant des opérations de la MINUSCA a fait escorter ces deux militaires malades à l’hôpital préfectoral de Bria pour recevoir des soins.

Ces deux cas sus recensés (Obo et Bria) témoignent d’une certaine désorganisation et un manque de préparation qui pourrait démoraliser les militaires, comme ce fut le cas en 2013. Cette armée a besoin d’être équipée et doit disposer des hélicoptères de combat qui n’appartiennent présentement qu’à la Minusca et à l’armée française. Car, celui qui contrôle l’espace aérien, contrôle le combat et le terrain. Les Etats-Unis et la Chine accompagnent l’armée centrafricaine à leur manière pour qu’elle soit professionnelle et apolitique. Ce n’est sûrement pas la Russie qui se battra pour le compte du peuple, sinon ce serait déjà fait au nom de  l’accord militaire qui existe entre les deux pays, sauf à parler d’une caducité prématuré dudit accord. Toutefois, la Russie s’est cantonnée dans son rôle premier qui est celui de former les militaires centrafricains. Et c’est là qu’il y a de l’avancée notoire, mais insuffisant faute de matériels militaires adéquats.

Par conséquent, l’alternative reste la mise en œuvre de l’Accord de Khartoum sur la base d’une certaine moralisation des militaires à la socialisation, c’est-à-dire une politique de proximité avec les populations et les groupes armés au nom de la cohésion sociale. Parallèlement, il faudrait s’atteler à gérer les brebis galeuses au sein de cette armée qui vient d’horizons différentes, en attendant de parvenir à une armée professionnelle, républicaine et apolitique. A l’exemple des pays civilisés, la RCA doit préconiser une armée de garnison et que le militaire soit soumis au politique dans le respect de la loi. Concocter une période de transition (triumvirat) sous le contrôle de l’armée n’est pas judicieux en soi.

En effet, cette Constitution n’a pas prévue de période de transition. Par conséquent, instaurer une période de transition serait anticonstitutionnel. L’objectif d’une Constitution n’est pas d’instaurer des périodes de transition avec une gouvernance non prévue par le peuple, mais de gouverner suivant le choix de ce peuple, un choix issu des urnes afin d’assurer une alternance démocratique apaisée. Pour éviter de rendre la RCA ingouvernable, le pouvoir constituant dérivé, à s’avoir l’Assemblée Nationale, peut modifier la Constitution afin d’y inclure les cas de force majeure pouvant entrainer un glissement du calendrier électoral ; ce qui sera utile pour les futures périodes électorales. Sinon, la RCA devrait se préparer à faire face à de pareils problèmes à chaque période électorale. Autant mieux résoudre ce problème définitivement maintenant pour des raisons de bon sens. Si,  au lieu de modifier la constitution, c’est un consensus national inclusif qui est privilégiée, ceci constituera un précédent. En cas de répétition et de considération dans l’avenir, cette pratique finira par constituer une coutume constitutionnelle, en marge d’une constitution écrite.

Sous un autre angle, en 2013, il ne restait à Bozizé que quelques mois pour organiser les nouvelles élections. Mais, l’impatience a présidé au renversement du pouvoir de Bangui pour plonger l’ensemble du territoire dans le chao qui peine à être endiguer jusqu’aujourd’hui. Il est impératif d’éviter le ridicule en apprenant de ses erreurs afin d’éviter de les reproduire. Dans le cas contraire, les victimes seront toujours les mêmes : les pauvres centrafricains dans leurs quartiers et villages qui rêvent de retrouver une vie normale afin de vaquer librement à leurs occupations quotidiennes. Espérons sincèrement que l’intérêt de la Nation conduira les pouvoirs publics et l’opposition politique à préconiser le dialogue social même si le calendrier électoral doit être respecté.

Au-delà des considérations, la possibilité d’un Gouvernement élargi aux partis politiques d’opposition (union nationale) reste possible, étant donné que les rebelles font déjà partie du gouvernement actuel. Donc, en cas de report des élections, un Gouvernement d’union nationale autour du Président Touadéra serait le mieux indiqué pour rassembler toutes les forces vives de la Nation dans l’après 30 mars 2021. Mais, pour raison de sécurité nationale due à la menace que constitue la propagation du Covid-19, le recours du Chef de l’Etat à l’article 43, reste une option valable.

Le recours à l’article 43 relatif aux circonstances exceptionnelles, une possibilité justifiable mais dangereuse

L’article 43 de la Constitution du 30 mars dispose en son alinéa 1er : « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité du territoire, l’exécution des engagements internationaux ou le fonctionnement normal des pouvoirs publics sont menacés de manière grave et immédiate, le Président de la République, après avis du  Conseil des Ministres, du président de l’Assemblée Nationale, du président du Sénat et du Président de la Cour Constitutionnelle, prend les mesures exigées par les circonstances en vue de rétablir l’ordre public, l’intégrité du territoire et le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ». Ces dispositions autorisent le président de la République, en cas de nécessité, à exercer une dictature temporaire. Le recours à cet article, calqué sur le modèle de l’article 16 de la Constitution française de 1958, suppose l’existence cumulative de deux conditions. La première condition est expresse, subjective et imprécise. Cette condition est caractérisée par une menace grave et immédiate, soit sur les institutions, soit sur l’indépendance de la nation, soit sur l’intégrité du territoire, soit sur l’exécution des engagements internationaux, soit sur le fonctionnement normal des pouvoirs publics. Ceci signifie que l’existence de l’une de ces situations suffit à servir de prétexte au chef de l’État pour recourir au pouvoir absolu que lui confère l’article 43. L’appréciation de la situation en cause est soumise à la seule discrétion du Chef de l’Etat et ne nécessite pas de contreseing. La seconde condition est tacite et objective. Cette condition est caractérisée par une certaine interruption, non évoquée explicitement par la Constitution du 30 mars 2016, qui nécessiterait la prise des mesures en vue du rétablissement de l’ordre public, de l’intégrité du territoire et du fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Ceci signifie implicitement que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ait été interrompu pour nécessiter la prise des mesures en vue de leur rétablissement. C’est l’article 16 de la Constitution française du 4 octobre 1958 qui a déterminé cette seconde condition avec plus de précision.

En effet, le Président de la République apprécie souverainement si ces deux conditions sont réunies. Ceci est assimilable à un acte de Gouvernement dont les actes à caractère règlementaire restent contestables par la voie du recours pour excès de pouvoir (Cf. Arrêt de l’Assemblée du Conseil d’Etat, 2 mars 1962, Ruben de Servens). Lorsque ces conditions sont réunies, le Président de la République peut mettre en œuvre l’article 43. Dès lors, il a l’obligation de respecter une certaine formalité qui est celle de devoir recueillir l’avis du Premier ministre, des présidents de l’Assemblée Nationale et du Sénat (qui n’est pas encore opérationnel) ainsi que du Président de la Cour Constitutionnel. L’avis de ces hautes personnalités ne lie pas le Chef de l’Etat qui reste souverain dans la prise des mesures nécessaires exigées par ces circonstances. Par la suite, le chef de l’État doit informer la nation par un message. L’information de la nation se fait lors de la prise des mesures et lorsque ces mesures doivent être suspendues. Le Président de la République ne pourrait recourir à l’article 43 que dans le cas d’une vague d’infections de la population au Covid-19. Puisqu’il faudrait prendre des mesures drastiques de confinement interdisant tout déplacement. Par conséquent, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que de l’ensemble des administrations publiques et privées serait interrompu.

Toutefois, eu égard à la particularité des conditions de propagation du Covid-19, rien n’empêche le Chef de l’Etat de recourir à cet article en ce moment par mesures de prévention du fait de la précarité des infrastructures hospitalières et le manque de personnels qualifiés devant faire face à cette pandémie dans les hôpitaux. Une telle mesure aura un impact inéluctablement sur les opérations électorales qui devront subir un glissement de calendrier. Inévitablement, cet acte pourrait être considéré comme étant de la tricherie dans le but de proroger le mandat présidentiel, même si l’urgence du moment le justifie. Ce qui devrait entrainer de graves crises politiques dans le pays. Cependant, lorsque cet article est invoqué par le Chef de l’Etat, l’alinéa 3 de l’Article 43 de la Constitution prévoit la réunion du Parlement de plein droit ; l’Assemblée Nationale ne pourra être dissoute et aucune révision de la Constitution ne pourra être opérée. Le Président de la République, en prenant ces mesures, doit faire en sorte de rétablir le fonctionnement régulier des pouvoirs publics le plus vite possible ainsi que l’ordre constitutionnel normal. Le rétablissement du fonctionnement normal de l’ordre constitutionnel implique aussi l’organisation des élections à l’issu de la période exceptionnelle.

Conclusion

La RCA reste encore un pays en crise du fait que l’accord de paix qui devrait ramener la paix n’est toujours pas respecté par certains groupes armés et, le processus de désarmement qui est la première phase du DDRR (Désarmement, Démobilisation, Réinsertion, Rapatriement) avance très difficilement. Nonobstant la signature de l’Accord de Bangui (dit de Khartoum) en février 2019, les groupes armés continuent à vivre sans inquiétude au rythme de « tout est permis » à l’égard des populations civiles. L’unité nationale autour de la situation fait défaut dans la classe politique centrafricaine, d’où la pérennisation de l’insécurité.

Cependant, sous d’autres cieux et plus précisément dans les pays dits civilisés, dans des circonstances de crises, c’est l’esprit d’unité qui guide les partis politiques et l’ensemble de la nation ; ce qui, en effet, est loin d’être le cas au pays des Bantous légué par Barthélémy Boganda. Le taux élevé de l’analphabétisme, la pauvreté dans toutes ses facettes, l’absence de culture d’entreprise et l’usage de la force comme moyen de réussite font que bon nombre de Centrafricains se sente mieux aux commandes des hautes fonctions de l’Etat, même en l’absence de qualifications requises, que de créer des entreprises ou faire autre chose d’utile à la patrie. Ceci contribue largement à créer et/ou intensifier les crises politiques, car l’objectif visé par leurs auteurs reste le partage du gâteau sans considération pour le peuple.

En réalité, l’opposition constitue des garde-fous pour les partis au pouvoir dans leurs actions, non sur fond de mauvaise foi. C’est pourquoi, se comporter en démocrate, revient à accepter la pleine application des règles du jeu même si ce n’est pas favorable à soi ; c’est ça la démocratie. Dans une certaine mesure, privilégier l’intérêt de la nation revient à faire des concessions et il n’y a pas d’accord politique sans concession. C’est à cette seule condition que la mouvance présidentielle et l’opposition politique pourrait mener le jeu démocratique dans une ambiance apaisée pour le peuple centrafricain qui en a assez de payer les frais des dérives politiques dans ce pays.

Par conséquent, il serait judicieux de modifier la Constitution d’une manière abrogative avec effet différé, outre l’organisation d’un consensus national inclusif  pour l’après 30 mars 2021 autour du « président sortant », au cas où les élections devraient être reportées. L’effet différé vise à reporter l’entrée en vigueur du texte révisé en attendant un référendum qui pourrait se tenir au même moment que les élections présidentielle et législatives qui se préparent.

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